Le havre

C’est un des sujets qui m’est le plus délicat… Parmi ceux qui m’arrachent le plus de larmes.
Un sujet caché alors qu’il est au centre même de nos vies.
Les gens disent : « Les relations humaines sont compliquées. » En fait, c’est le lien d’attachement qui est souvent bugé et qui entraîne notre difficulté à la relation à l’autre,
car l’humain a besoin de liens mais vit comme si non.
Bien souvent. Bien souvent en France de nos jours. Car la France déteste le lien affectif. Et cette haine a toute une histoire.
On en arrive au pays le plus médicamenté en psychotrope du monde, là où d’autres se font des hugs, ici nous prenons des anti-dépresseurs.
C’est un choix de société.
Ce n’est pas le mien. Alors je pleure, je console. Et
C’est putain de transgressif. Dans ce pays.
Or,
nous avons besoin de liens sûrs
pour être sains d’esprit.
Beaucoup d’animaux fabriquent des liens sûrs et ça viendrait de la nécessité de se protéger des prédateurs. L’être humain est spécifique : le prédateur est un « humain » aussi.
Ce lien sûr nous permet de nous développer dans le monde et sa dureté.
Il crée un refuge où nous nous sentons en sécurité,
où nous pouvons nous abandonner à être nous-mêmes.
Les Anglais disent security qui ne signifie pas sécurité mais plutôt tranquillité.
Or, il y a un hic : si tu n’as pas connu ce havre, enfant, comment en construire un plus tard ?
Comment tisser un lien de confiance quand tu ne sais pas ce que c’est ?
Quand on ne t’a pas protégé.
Quand tu n’as pas ressenti la sensation de tranquillité, de sécurité, de protection.
Elle m’avait dit : « Le couple, c’est une cerise sur le gâteau » et je n’étais pas d’accord. Je serais donc plus anglaise… alors…
Toi,
tu disais que notre relation avec ce que nous traversions avait des fondations en béton armé.
En béton armé, ça me semblait bien un havre de solidité comme certains disent.
On s’en sort quand on trouve un compagnon de confiance.
Alors,
Comment faire ?
J’ai durant des décennies ressenti une profonde culpabilité à chercher cette sécurité
comme si ce n’était pas normal or ce n’est pas normal, c’est essentiel.
Mon environnement non validant puisque ne reconnaissant pas ce que je vivais, ni la détresse dans laquelle je vivais, m’a trop souvent poussé vers l’ »autonomie compulsive » (c’est une expression de J. Bowlby), ce dont je n’avais pas besoin : j’ai été bien trop autonome trop jeune à gérer seule des choses qui sont trop dures à gérer seule. Construisant ce mythe : « Marie se démerde seule » que mon environnement renforçait. En une spirale infernale.
Je ne savais pas que j’avais aussi droit à ce que tant d’êtres vivants sur terre ont besoin. Alors, j’avais honte.
Plusieurs fois, tu as donné mon nom et mon numéro de téléphone comme la personne à contacter en cas de souci. Et on m’a contactée !
Et faut voir qui m’a contactée.
C’était une question de vie ou de mort pour moi d’être
ce compagnon de confiance pour l’autre.
Quand en octobre, j’ai été à l’hôpital pour la consultation d’anesthésie (quinze jours avant l’opération), je suis restée immobile face à la feuille à remplir avec les coordonnées de la personne que l’hôpital pouvait contacter en cas de souci.
Qui mettre ?
Car si j’étais ta personne sûre, tu n’étais pas la mienne.
Après tout ce que nous avions enduré comme putain d’épreuves.
Dans un monde sain, ça serait impossible d’abandonner la personne de confiance.
Ou même d’abandonner quelqu’un de son espère, c’est pour ça que l’hospitalité est une exigence du code d’honneur ou de la charia (tu m’étonnes que les Français n’en veulent pas !) comme la rectitude (c’est-à-dire le respect de la parole donnée)
Les oasis accueillaient les étrangers au moins trois jours.
Tu étais mon socle et mon oasis
et tu l’es encore dans ma tête
Mais,
En sortant de l’hôpital, je crois que je me suis mise en état de dissociation. A cause de la feuille blanche et de qui peut venir me chercher à l’hôpital ?
Et toutes les images de quand j’avais été là (pour toi, pour d’autres) me revenaient et la dissociation a duré des semaines, voire des mois. Je ne sais pas si elle est finie.
Lire John Bowlby a été mon planche d’abordage sur le rivage. Car il met des mots sur ce que je vivais.
Il dit le contraire de ce que la plupart des gens pratiquent aujourd’hui en France.
Mais, moi, je suis d’accord avec lui.
C’est mon côté anglais,
mes gènes belges,
c’est moi.
Et il dit surtout que tout est normal dans ces larmes, il dit que certains savent qu’un coeur brisé peut nous tuer car que tout être humain devrait avoir un nom à mettre sur la fiche d’urgence.
J’ai été ce nom sur une fiche. J’ai été un havre de solidité. J’ai été le compagnon de confiance.
Tout être a besoin d’un havre, d’une personne à appeler en cas d’urgence.
Je n’ai plus à avoir honte.

9 février 2023

L’amour attend toujours

Tu me disais toujours toujours et j’adorais ton absolu. Toujours tu m’écrivais une lettre au petit matin. Toujours je la lisais en buvant un café. Il y avait toujours eu en moi l’envie d’un toujours au coin de mes livres toujours entrouverts. Toujours qui résonnait avec tous les jours. Aujourd’hui, comme tous les jours je t’attends toujours assise au bord de la fenêtre, et toujours tu surgis en haut de la colline. Avec un bouquet de toujours dans la besace accroché au porte-bagage et toujours je porte un verre de vin à mes lèvres toujours entrouvertes. ce soir, comme tous les soirs qui toujours se succèdent, j’attends comme toujours et j’attends toujours.
Les gendarmes arrive et je sais, ça durera toujours cette scène où je t’attends et t’attendrai toujours.
Tes yeux bleus rendent mon coeur bleu. Sous le ciel bleu, j’ouvre mes volets bleus. Je remonte au premier étage. Après une douche, je mets ma robe bleue, je m’assois dans la chambre que tu as repeinte en bleue, je choisis le stylo bleu pour écrire sur mon cahier bleu des mots bleus pour séduire ton coeur rouge, ton âme rose, ton corps brun, ton esprit arc-en-ciel. A l’heure bleue, tu reviendras. Et dans nos draps bleus, nous nous endormirons l’un contre l’autre.
2 février 2023

La consolation

Chaque jeudi je t’ouvre mon coeur
parce que je n’ai pas eu le droit à ton écoute
ou plutôt je n’ai plus eu droit
à un moment.
alors que tu étais celui à qui je parlais.
ma parole ne comptait pas dans la balance.
Elle ne fut pas prise en compte.
Et c’est légion. La non-écoute.
Et tu vas voir il y a pire, sa copine : la non-validation.
Qui te rend invisible.
Et on nous entraîne dès l’enfance.
Alors je vais aller à contre-courant comme j’ai fait pour survivre
Tu ne m’écoutes pas je continue à dire
Et pire ; j’écris.
Même si ça les emmerde.
Malgré tes « ferme la », je l’ouvre
car au commencement était le Verbe,
même si de nos jours, le non-dit est monnaie courante.
Et si ça leur va, ça ne me va pas si je veux garder mon humanité
si je garde le coeur ouvert.
Il parait qu’ils gardent leur coeur fermé par peur d’être brisés.
Comme le mien est brisé, il reste ouvert.
Même si ça les emmerde.
chaque jeudi je t’ouvre mon coeur,
Car imagine que d’autres aient envie de mots, de verbes, de coeur, de poésie.
Car si tu veux rester dans le couloir de la mort, d’autres s’adoucissent grâce à la poésie.
Imagine que quelqu’un veuille bien m’entendre ou prendre ce que j’ai à dire, ou rebondir, ou contrer, ou jongler avec.
Parce que si toi et tant d’autres ferment les écoutilles croyant être ainsi à l’abri,
je cherche encore à comprendre à voir à savoir.
parce que la résignation ne m’excite pas.
Quand tu es entré dans ma vie, j’ai tâché de me placer dans la validation.
J’y travaillais.
C’était comme un groupe de parole autour d’une table.
Par exemple, un enfant dit : « J’ai soif », le parent répond : « Tu n’as pas soif. »
et c’est ça qui nous rend dingues.
Tout simplement.
Un environnement non-validant.
Adulte, je dis : « J’ai un énorme chagrin. »
Adultes, Ils me disent : « Il faut passer à autre chose. »
Quel est le rapport entre les deux phrases ? La réponse est non ajustée. et, cerise sur le gâteau, elle commence par « il faut. »
J’ai cherché des mois ce qu’elle signifiait. J’ai donc ouvert des livres pour trouver la validation que je ne trouvais pas chez les humains. Car on sait quand même ce qui fait du bien ce qui répare ce qui soigne ce qui régule les émotions. Ce qui nous procure une sensation de confiance et de sécurité.
Et en effet, cette réponse n’est pas appropriée et fabrique de la folie.
Car elle dit : « Je ne t’entends pas, ferme la. »
J’ai donc tâché de pratiquer le contraire de ce qu’on m’infligeait.
Avec moi,
Avec les autres.
Si tu as soif, je te dirai : « Je sais que tu as soif. »
Ça n’a pas l’air si compliqué, n’est-ce pas ?
En anglais, ils disent « feedback », ce qui signifie le retour nourrissant. Mais nous n’avons pas l’équivalent en français.
Pourtant on sait que le cerveau se répare (biologiquement ! physiologiquement !) par un retour ajusté et nourrissant.
Donc si la personne te répond à côté prouvant qu’elle n’accueille pas ta parole, ça fabrique des bugs dans ton cerveau sans que tu en sois conscient.
Dans un monde sain, on console ceux qui ont du chagrin.
Tout simplement.
26 janvier 2023

« Chaque jeudi je t’ouvre mon coeur »

parce que je comprends que l’interdiction d’exprimer ses émotions négatives est une caractéristique de notre monde moderne et occidentale
et fabrique de la pathologie à tour de bras,
et est une des causes principales de mon immense douleur
et parce que je sais que nous sommes pleins à être isolés de parce que nous avons subi et que nous devons taire.
parce que je ne comprends pas pourquoi ça dure
parce que je comprends que c’est parce que j’ai exprimé mes émotions (un tout petit peu) que j’ai été torturée mentalement, et frappée etc.
et que je ne comprends toujours pas l’isolement que cela entraîne.
parce que je comprends pourquoi je ne comprends pas cet « air de rien » alors que les gens savent
parce qu’ils sont occidentaux ! et que c’est la culture du détournement du regard, de l’évitement et de la minimisation.
parce que je comprends comment j’accompagne « autrement » les borderlines dans mes ateliers thérapeutiques et comment les émotions peuvent surgir
toutes les émotions ! et comment ça aide.
et quel luxe !
par ce que j’ai appris, par mes lectures, par mon travail
par ce que je n’ai pas eu
parce que j’ai nourri cette terreur à m’exprimer par peur et expérience de la punition
la punition blanche
alors je vais prendre le droit d’ouvrir mon coeur chaque jeudi par écrit
parce que finalement il n’y a pas de raison de souffrir pour leur monde de non-validation de nos émotions,
qui est un monde qui va mal
« Emotional invalidation, particularly of negative emotions, is an interaction style characteristic of societies that put a premium on individualism, including individual self-control and individual achievement. Thus, it is quite characteristic of western culture in general. » Marsha Linehan, Skills training manual for treating bordeline Personality Disorder
L’invalidation émotionnelle, en particulier des émotions négatives, est un style d’interaction caractéristique des sociétés qui mettent l’accent sur l’individualisme, y compris la maîtrise de soi individuelle et la réussite individuelle. Ainsi, il est assez caractéristique de la culture occidentale en général. Marsha Linehan, Manuel de formation professionnelle pour le traitement du trouble de la personnalité borderline.
23 janvier 2023

Apportez-moi des fraises

Apportez-moi des fraises pour que je puisse le demander en mariage. Je lui avais dit y a des années alors que nous nous connaissions depuis quelques mois que si nous nous retrouvions, cela serait pour nous marier. J’ai toujours été comme ça, le tiède m’ennuie. Bien sûr j’avais été obligée de m’adapter à la tiédeur de l’époque, ramolli par le confort et la latitude de notre pays.
Alors, quand je sus que l’heure du rendez-vous de nos retrouvailles se rapprochait, je descendis chez cet homme qui vendait un peu de tout jour et nuit, je lui dis cette phrase à consonance poétique. Vingt ans de prison, il les méritait : ma main et ces fruits.

 

En atelier, 24 février 2020