En 1940, je me suis évadé avec le chien du gardien. Au fil des semaines, je lui avais donné des petits bouts de bouffe. Il me biffa grave, et le soir de mon départ, il fut mon fidèle compagnon, indispensable pour franchir le trou qu’Alfred et moi avions fait dans le grillage. Dans le camp, les animaux ont été ma lueur, ils m’ont maintenu en vie : leur regard, leurs mouvements toujours tournés vers la vie et leurs actions parfaites. Les regarder, interagir avec eux me reliaient à l’harmonie du vivant, à sa grâce et à la pulsion que je pouvais qualifier de sublime vu l’endroit où j’avais atterri. A part Alfred, je ne parlais pas aux autres, je préférais danser avec les animaux. Partir dans les hauteurs de la montagne, ce fut facile les premières heures, mais avec les jours qui succédaient, le chien donna le rythme et le cap. Je remis ma vie en cet être joyeux, vaillant et beau.
En 1920, Alfred, un petit roux aux yeux verts, avait découvert un petit chien dans la forêt. Quand il débarqua dans la maison de ses parents, son père hurla. Alfred sourit. Il savait qu’il gagnerait. Il lui fallait du temps. Il le prit. Il ressortit illico, laissant les cris là où ils étaient. Alfred ne comprenait pas depuis le début pourquoi il criait et elle, elle qui louvoyait en minaudant jusqu’à ce qu’il se calme. Il cacha l’animal non loin, où il lui construit une petite cabane où il restait là tranquillement, où il grandissait car Alfred avait compris que cette boule de poils était un chiot. Chez ses parents, personne ne lui en reparla. Il prit le temps, il garda son secret, il savait que la patience était sa meilleure alliée. Un matin, le silence le réveilla. Il descendit pour découvrir sa mère en train de pleurer dans la cuisine. Il sut que le gueulard était parti. Il sortit et courut vers la cabane. Il fit entrer l’animal dans la maison.
Alfred marche toute la journée à mes côtés, le chien devant. Dans chaque geste que ce jeune lui porte vers lui, je sens tout l’amour du monde. Et ça me donne la force pour ne pas avoir peur. Nous nous enfonçons dans les bois jusqu’à entendre des hurlements la nuit. Puis, un soir, devant le feu, je le vis se lever et aller vers eux, toujours mû par la même grâce, cet amour. Il s’accroupit et ils vinrent à lui.
Les loups.