Je suis trop au top aujourd’hui. José va craquer, c’est obligé. Regarde-moi ces tâches de rousseur sous mon oeil droit. Il va rugir tel un lion alléché au déclin du soleil aux abords du fleuve, regarde-moi ces frisettes qui ondulent ma chevelure. Je vais le croquer tout cru, lui qui m’a prise pour une vulgaire antilope, je vais lui montrer que je suis une hyène.
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« Je suis en retard » dit-elle. Youpi ! Elle regarda le bateau s’éloigner sans aucun pincement à l’estomac. Toute sa vie elle avait été à l’heure, toute sa vie elle avait cru bien faire en rendant sa copie à l’heure, en arrivant à la gare à temps, en rappelant ceux qui laissaient des messages sur son fax, son répondeur, son portable, dans sa boîte à lettres. Quand elle se retrouva sur le quai, sachant qu’elle avait raté le bateau du retour vers son quotidien, elle sut qu’elle ne prendrait pas le suivant. Elle s’assit sur un banc. Elle respira. Enfin, elle avait réussi à être en retard. Enfin, elle sentit la paix dans son corps. Enfin, comme pour la première fois, elle abandonna le poids de la culpabilité. Le plaisir inconnu d’être pleinement vivante et en amour la surprit.
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C’est une question de foi, tu peux y arriver, tu as déjà eu foi en bien plus improbable. Quand tu partais avant l’aube, en vélo sous la neige. Quand tu saupoudrais ton amour sur des gaufres du petit-déjeuner. Tous les jours, le ciel était bleu et tu bénissais tout le crédit que tu t’accordais, tu adorais ça : ne pas compter. La gratitude flottait dans les airs sans prononcer son nom, elle se révélait dans les bouquets de fleurs que tu récoltais dans les champs, ça te venait de ton enfance qui te semblait éternelle : ce don de sagesse de tout adorer tout le temps.
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Elle était partie de là où les gens avaient su,
Parce qu’elle l’avait dit.
N’imaginant pas les conséquences de ces révélations. Là où elle avait cru qu’elle recevrait de la douceur, puisque c’est bien ça qu’on devait accorder aux combattants revenant du front, elle reçut autre chose, un autre chose dont elle ne connaissait pas le nom.
Elle a ouvert sa main, face à la mer. À l’abri de l’ombre d’un arbre, les fesses posées sur le sable. Ici, elle avait le droit d’être guérie, car elle avait le droit d’être elle-même. Comme si le droit d’être soi était d’une telle nouveauté qu’il fallait donc autant se battre. Le bonbon, le calme, la sensation de bénir chaque cellule de son être. Oublier qu’il existait un monde où être soi était entravé. (janvier 2020)
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Et si tout s’arrêtait, quelle joie !
L’écoulement du sable dans le sablier,
la guerre des hommes contre les hommes,
la course à la surenchère,
l’économie telle qu’elle détruit le monde,
la bêtise à tous les coins de rue.
Et si tout s’arrêtait, quel élan !
Les insultes,
la médiocrité,
les reproches,
la fin du contrat,
la résurgence de l’absence,
les mensonges.
Tout ce que nous avons appris aux êtres humains pour qu’ils deviennent féroces, pour qu’ils puissent être capables de garder leurs frères derrière des barreaux.
Et si tout s’arrêtait, quel soulagement !
Je serais débarrassée de la peur de perdre,
je me contenterais de ramasser quelques coquillages sur la plage et de les enfiler sur un fil que je passerais autour de mon cou.
Tout s’arrêterait sauf qui moi qui continuerait à marcher.