Adieu Joe

Ils partirent sur les routes, leur coeur hors d’usage
Ils se regroupèrent par grappes, nombreux
Leur souffle les portait au travers des cèdres
Et ils espéraient, vêtus de manteaux verts
Là, certains se languissaient, échauffés
Leur visage rougi, proches de la vague
Ils hurlaient, leur pas arrêté
Visiblement, ils n’aimaient plus, là
Sur la côté basque, les yeux clos
Tout tremblants, au milieu de cette audience
Nous gémissions, nous les encouragés
Le plus fort, je le savais, c’était le plus lent
Nous comptions sur lui pour éradiquer l’adversaire
Pas comme les autres, ceux que nous connaissons
Autrement nous devions faire, tel les ancêtres
Mais radicalement autrement, comme des enfants
Nous rêvions, habités du désir de ne pas être congédiés
Mais nous gardions la flemme, tout au bord,
Hommes soumis à la terreur
Mais courageux, plein d’une ferveur plaisante
Ils n’useraient jamais notre joie
Certes il faudrait du temps pour nous conquérir
Car la fin sera émouvante
Oui, la porte allait venir
Mais pour l’instant, qui peut prédire l’avenir ?
Là, l’envie de continuer le combat devient urgente

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Il entre. Il est grand, il est tout en muscles, il a les yeux bleus. C’est un gars de la rue, la rue où il a grandi, lui gitan, grandi dans une caravane, la rue d’où il vient quand il entre ici. Ici, c’est une petite chambre au-dessus d’un café. Le café de mes parents. Il s’assoit après ces dix minutes où il me regarde, où il parle, où il se tait.
Puis,
il s’allonge à côté de moi, il écarte le pan de ma chemise pour y découvrir ma poitrine tout en écoutant le poème que je lui récite. Il masque sa peur dans des gestes lents, je masque mon angoisse découvrant son arme à sa ceinture. Ses paupières battent, comme surprises par de la timidité quand j’empoigne son bras. Il me tourne pour me serrer contre lui, je lui dis : « Attention » en entendant quelqu’un monter les escaliers. J’ai peur que mon père entre pour me déballer toute sa journée. Et nous ressentons la puissance du soulagement quand les pas continuent à grimper au-delà de la petite chambre. Je tombe dans les bras du gitan et le caresse jusqu’à profiter de ce nouveau bonheur. Maintenant nous irons main dans la main.

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Ce corps que je découvre encore à chaque marée, ce corps qui est toujours d’accord pour se mettre en accord avec mon corps. Ce corps sans cesse renouvelé par son goût de prendre à coeur et à corps chaque instant de la vie revient me dire « bonjour ». Ce corps encore proche de mon corps crie à corps perdu de revenir encore.

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Je déchirai ces dernières en une brusque secousse. Joe s’arrêta de parler. C’était son bien précieux et je l’avais encouragé à les écrire, jour après jour, et ces jours étaient devenus des semaines. Puis, des mois. Ses yeux faillirent sortir de leurs orbites. J’ai cru qu’il allait me sauter dessus. Joe et moi, nous nous étions rencontrés dans les tranchées. Nous ne nous quittions plus. Quand l’obus secoua la terre, et que Joe hurla qu’il allait franchir la ligne pour bondir dans le no man’s land, je pris les feuilles, ces feuilles qu’il avait écrites avec le sang de son coeur. Son attention se fixant sur moi, il oublia son envie de s’extirper du trou, il oublia les débris d’os et de chair qui tombaient autour. Il ne pensait qu’à une chose : m’étrangler.
Alors, je saisis mon arme, bondit hors de la tranchée et fonçai devant moi, en hurlant : « Adieu, Joe ! »

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Il ne fléchirait pas. Il n’en avait parlé à personne. Il était allé le chercher après des mois de recherche. Il l’avait bichonné comme son grand-père lui avait appris à le faire ici même dans cette ferme. Elle l’avait supplié qu’elle n’en voulait pas, pas après ce qui leur était arrivé, pas après ce que ça leur avait coûté, la maladie et la mort de l’enfant. Ils n’avaient plus un sou, ils ne vivaient plus main dans la main. Mais, il ne fléchirait pas. Il voulait qu’elle reçoive ce don. Elle en rêvait depuis petite fille, petite fille quand elle venait à la ferme et qu’il avait commencé à jouer avec elle jusqu’à l’aimer. Elle y avait droit, surtout après l’épreuve et tout ce qu’elle y avait laissé. Elle ouvrit la porte, il la prit par la main, il la fit même courir pour qu’elle découvre ce qu’il lui avait choisi, ce qu’il allait lui offrir. Alors, elle pleura quand il ouvrit la porte du van et qu’elle vit le magnifique étalon qui en descendit.

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Au dernier étage, j’attends Batman. Il fait nuit, il pleut, il y a du vent. Personne ne vient plus dans ces locaux d’un service psychiatrique désaffecté. La psychiatrie a disparu depuis longtemps. Ma vie a basculé le jour où Batman m’a appelée pour que je travaille avec lui. Je vivais depuis deux ans dans une grotte à quelques kilomètres de Gotham. J’y vivais avec un être que la société avait rejeté. Nous vivions la nuit pour que personne ne puisse nous atteindre. Et un jour, ou plutôt un soir, il est venu. Il avait entendu parler de moi pour mes années de service dans la santé mentale et dans les milieux de la marge.
Nous nous retrouvons chaque vendredi au dernier étage dans la pénombre pour élaborer le planning de la semaine suivante. Pour accompagner ceux que l’État ne soutient désormais plus.
Dans la city la vie devient étouffante. Les poubelles empêchent les voitures de circuler, les devantures des magasins sont fermées. Chaque jour, les gens noircissent les trottoirs en hurlant. Dans les arrières-cours, je reçois cette cohorte de personnes qui viennent s’épancher. Il y a Paula qui organise ce qu’elle appelle des cercles de paroles. J’aime voir les gens parler à nouveau, car il y a des années, ils se sont tus presque du jour au lendemain le jour de la grande peur. Plus personne n’eut la force de se battre. Il fallut du temps pour recommencer à frémir, à sourire, à chuchoter. La grande peur nous avait tétanisés au point que notre parole fut bloquée. Batman parla peu, mais je compris vite sa proposition. Ce fut long, ce fut pénible. Peu à peu, nous pûmes nous retrouver dans les refuges ignorés de la Police. Il ne s’agissait plus de comprendre, nous avions besoin d’agir pour nous sentir vivants. Paula m rejoignit et tout de suite elle toucha mon coeur et ça me fit tellement de bien, moi qui avait vécu dans la grotte et continuait à y vivre. J’aimais sa façon de trouver rapidement des solutions, de créer de nouveaux dispositifs, de toujours ruser avec l’adversité. Nous résistions depuis des années, et nous devions maintenir ces bulles de solidarité intactes coûte que coûte.
C’est le dernier jour. Personne ne le sait sauf moi. Alors je les regarde avec beaucoup de tendresse et de tristesse. Deux émotions que j’éprouve dans un monde peuplé de zombies. Car ils nous ont élevés à l’indifférence. C’est le dernier jour où nous ne parlons pas russe. Car ce territoire n’est plus le nôtre, il est celui de demain.

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Dans une grotte, je fume par amour. On m’a toujours dit : « Faut pas faire n’importe quoi pour un autre que soi. »
Je fume par amour, j’ai quitté mon lit et j’ai couru. Toute ma vie j’ai semé des lettres et des gestes tendres. J’évolue sur les âmes, sans aboutir. De désespoir et par détresse, je crée des cabanes pour mes aimés. Je n’explose pas. Il n’est jamais question de réduire mes intentions, j’attrape tout ce que je peux quitte à désarmer le pire des salauds. Je lutte contre ma honte, vêtue de guenilles. J’aspire à retrouver mon jardin, m’y asseoir et manger. Et ressentir l’effet que ça fait de goûter au souffle de la rédemption.