Oh, mais j’adore ton oeil gauche. Il s’allume dès qu’il me découvre dans son champ de vision. Quand je le capte, je me mets à scintiller tel les planctons dans la mer à Vancouver. Et, liane dans la jungle, je danse en ondulant. En sachant que j’ai envie d’y plonger comme dans un océan de menthe à l’eau. Avant de nous rencontrer, nous ignorions qu’une telle vie pouvait exister, et maintenant nous ne saurions nous en passer.
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Il décolla ses lèvres des miennes et il dit : « Respire. » Je tendis ma main. Ouverte. En me détachant de lui.
Avec la sensation que mon coeur allait jaillir de ma poitrine. C’était une époque où le monde flambait. Il jeta un regard de braise sur moi, sur les lèvres qu’il venait d’embrasser, sur mon corps, sur… cette main tendue. Je lui dis :
– Aide-moi, toi que j’aime déjà tant.
Il trembla, ne me lâchant pas du regard.
il dit : « Comment ? »
Je répondis :
– Ne pars pas même si le monde est en débris.
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Sachez que je voudrais être aimée, dis-je à la cour,
Sachez que je voudrais savoir ce que ça fait de me sentir aimée au point de sentir la sécurité, dis-je au président, un homme aux yeux ronds comme ceux d’un phoque et à la barbe rousse, avec des joues qui rappelaient celles de Youcef.
Sachez que je voudrais vivre dans un monde où on peut énoncer les choses franchement, où l’authenticité paie, alors que vous prétendez chercher la vérité dans une arène où le masque le plus subtil gagnera.
Sachez que je voudrais être entendue, vraiment entendue, je suis venue seule à la barre pour être écoutée de vous, tout en ayant conscience qu’un homme en robe, je doute de sa capacité à ouvrir ses oreilles vers son coeur.
Sachez que je voudrais hurler sans que personne ne me juge pour ça, car je connais la mécanique du poussage à bout par ceux qui ne ressentent plus rien.
Sachez que je suis descendue dans les abysses, ces abysses dont vous ne savez rien.
Sachez que je voudrais de la reconnaissance, que quelqu’un discerne ce qui me trace, pour avoir l’opportunité de renaître.
Sachez que je voudrais être comptée comme un membre de cette société.
Sachez que je voudrais être accompagnée quoi que vous décidiez.
Sachez que la peine doit être endurée avec chaleur et tendresse.
Sinon ça ne vaut pas la peine.
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C’est pourquoi elle est élue. Elle est élue pour prendre le sabre et couper la tête des vermines.
Elle est élue pour nettoyer les fonds du fleuve et mettre en place une stratégie de lumière.
Elle est partie des années dans les montagne. Elles ont changé son corps, elles ont changé son âme. Elle a appris à méditer jusqu’à l’illumination. Elle a plongé au profond d’elle-même. Aussi a-t-elle rencontré l’amour en se rencontrant, la peur la quitta.
La nuit elle entendait les loups qui venaient à elle, le jour elle sentait le vent sur la peau de son visage. Son regard changea, sa posture aussi.
Elle redescendit dans la vallée un jour de février. Il faisait froid, elle portait sa capuche sur la tête. Personne ne la reconnut.
Elle prit le pouvoir dans un monde où les hommes avaient perdu tout espoir.
Elle dit : « Vous aurez justice, ainsi retrouverez-vous les palpitations de votre coeur. »
C’est pourquoi elle est élue.
Elle leur parla en les regardant dans les yeux.
Le vent soufflera très fort, tu le sais. Et j’aimerais te demander : « Comment le sais-tu ? » Sauf que tu le sais, je ne te le demanderai pas, car tu ne répondrais pas.
Oui, bien sûr, le vent soufflera si fort que nous tiendrons à peine debout et cela ne nous empêchera pas d’aller au bout de la digue.
Nous devons tenir la promesse.
Malgré le vent, surtout avec le vent.
Nous tiendrons la promesse, car nous sommes de ceux qui possédons ce savoir-là. Le monde tiendra grâce à ceux qui tiendront la promesse. Tu sais que nous ne pouvons rien faire contre la bourrasque qui nous saisira, et tu éprouveras ce frisson que tu cherches tant. Tenir debout dans la tempête, tenir debout dans la tempête avec quelqu’un à tes côtés et quoiqu’il arrive, ne pas lui lâcher la main.
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Je sais que tu m’attends, tu sais que je t’attends, j’y consacre mes heures et mes ongles rongés. Cela change tout et cela ne change rien.
Je sais que tu m’attends et cela sans affecter tes nuits où tu dors comme un bébé, que dis-je, mieux qu’un bébé. Tu m’attends, loin de moi, et on se demande bien ce que nous attendons. Finalement, nous n’attendons rien, car nous avons tout mis en place pour en être là, cette distance et tous nos empêchements.
Pendant quelques années, j’ignorais que tu m’attendais. Puisque c’est toi qui avais quitté la pièce dans laquelle nous étions. Je ne sais pas pourquoi, je restais à attendre, attendre ton retour.
J’ai su que tu m’attendais le jour où ton frère est venu me voir et me raconta ce que tu faisais tous les matins. Jamais je n’aurai imaginé que c’était possible, et encore moins pour moi.
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Il me voit en train de pleurer. Il ne savait pas que je pouvais pleurer. Il pensait que j’étais celle qui fait des tartes aux pommes, qui a toujours une belle idée de promenades, des stylos de couleurs dans son sac, des bonbons dans ses poches, des poèmes dans la bouche. Celle qui tend ses bras pour le consoler, celle qui lui prend la main pour le retenir quand il est au bord du précipice, celle qui sourit à l’annonce des mauvaises nouvelles et sort son harmonica. Il me voit pleurer et ce qu’il ne sait pas, c’est que je vais pleurer très longtemps.
Car c’est la première fois et que j’en ai besoin.
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Il n’aurait jamais cru qu’il la verrait un jour. Mais elle était là. Ça faisait au moins deux ans qu’il l’attendait, alors il y pensait moins. Il vivait avec l’attente, au fond de son coeur, comme un petit moineau lové dans une grotte. Et personne ne le savait. Il pensait que les autres n’attendaient rien. Qu’il était le seul à avoir deux vies dont une tapie dans l’ombre où il l’attendait, elle et son quotidien. jusqu’à ce jour où il avait ouvert la porte du salon en rentrant