Apportez-moi des fraises

Apportez-moi des fraises pour que je puisse le demander en mariage. Je lui avais dit y a des années alors que nous nous connaissions depuis quelques mois que si nous nous retrouvions, cela serait pour nous marier. J’ai toujours été comme ça, le tiède m’ennuie. Bien sûr j’avais été obligée de m’adapter à la tiédeur de l’époque, ramolli par le confort et la latitude de notre pays.
Alors, quand je sus que l’heure du rendez-vous de nos retrouvailles se rapprochait, je descendis chez cet homme qui vendait un peu de tout jour et nuit, je lui dis cette phrase à consonance poétique. Vingt ans de prison, il les méritait : ma main et ces fruits.

 

En atelier, 24 février 2020

Alice et Igor

Dans sa vieille enfance qu’elle rejoignait parfois, Alice aimait revenir à ce jeu triste. Elle invitait Igor, car tant qu’à jouer, autant être plusieurs, et deux, c’est bien pour être tristes. Ils s’enfermaient dans un cercle carré tout en se maintenant dans un élan ralenti pour atteindre une infinité minuscule. Alice était fière car Igor avait assez vite compris ces règles qu’elle avait mises au point avec sa peluche poulet. Depuis que des milliers de gens défilaient pour Adama Traoré, elle cachait sa mascotte. Igor maîtrisa vite les notions de vide plein et d’air solide. Ce qui permit aux deux enfants de progresser rapidement. Les parents n’arrivaient pas à concevoir ce que leurs enfants trafiquaient dans leur inatteignable espace, cependant ça les arrangeait car, du coup, ils pouvaient aller manifester le samedi après-midi dans ce roulement inerte que la vie toute récemment sociale imposait. Seuls Alice et Igor prenaient conscience de l’extension régressive du monde et savaient qu’en jouant de cette façon qu’ils avaient inventée, ils sauveraient leur peau.