Je choisis parmi les textes que j’ai écrit au pied levé dans les ateliers que j’anime en psychiatrie, que j’ai écrit comme si je pouvais atteindre ce toi par le moyen d’un code morse dans un monde visant à détruire le lien social pour que nous ne soyons plus des humains, à banaliser les impacts de certaines ruptures, un monde sans socle, sans racines, sans terre, un monde sans lien et sans lieu, où les êtres s’interchangent en mode objet, un monde qui s’attend à ce qu’on ne s’envoie plus de lettres que nos mains auraient écrites. J’oeuvre à contre-courant… Car ces textes, je les ai écrits à la main n’en déplaise à nos chefs européens qui visent à détruire cette écriture cursive, contre les impératifs de séparation que les psy même encouragent car le but, c’est la résilience (what the fuck) de l’individu contre tous les besoins de cet animal social que nous sommes… Qui a besoin d’un havre de tranquillité et de solidité pour s’épanouir. Donc leur injonction est paradoxale !
Je ne me résigne pas, à me plier à leur monde où l’absence de retour, de retour nourricier, de feed back, c’est leur truc à eux. Une pensée ne se forme qu’avec un dialogue, c’est-à-dire en jouant au ping-pong… Mais, on nous condamne à ne pas penser. Et ça leur va.
En résistance à leur monde suspendu dans les airs, je continue à écrire, à la main, des boucles formant des mots, tel des SOS. Pour ne pas perdre mon humanité qui est mon essence, qui est mon feu intérieur, qui est ma vie même si j’en meurs.
Alors voici ces lianes pour garder ma croyance en l’unicité de chacun, pour maintenir le lien pour rester en ce lieu que j’habite :
J’ai changé d’avis, je suis retournée sur mes pas, je suis revenue sur le lieu du crime. Et ça m’a fait un bien fou, et je ne l’ai dit à personne.
J’ai changé d’avis, car j’ai pris conscience que ce n’était pas mon avis. C’était des conseils, des voix venues de l’extérieur qui disaient : « Quand tu auras fait ton deuil. » Sur le petit talus de pierre où il était enterré, je hurlai ce que je ne leur dirai jamais : « Bandes de bâtards, il n’y a pas de deuil. Le trauma ne connaît pas la temporalité. » Je découpai en morceaux ces phrases que j’entendais depuis l’enfance et que je ne comprenais pas. Pourquoi est-ce qu’ils essaient de me faire croire en des choses que je ne vis pas ?
Il était sous mes pas, et non je n’irais pas au tribunal voir son assassin. Car la justice ne répare pas. Et elle ne me rendrait rien. Est-ce possible de vivre sans être jamais entendue ? Son assassin, c’est moi qui irais lui faire sa fête. Le temps ne répare pas non plus, mais il donne l’opportunité de fabriquer des arbalètes.
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Dans l’ombre, je te regarde toi qui a été à l’ombre des années,
quand, moi, j’étais dans la marge.
Oui, tu es là, finalement. Après cette longue marche, tu as posé ton baluchon dans l’herbe. Ce baluchon de coton violet que tu as confectionné avant de retrouver l’air libre où tu as mis toutes tes affaires, j’ai envie de le voler et de l’ouvrir. Car je me demande : « Que te reste-t-il ?
Et je te dis : « Ça va ? » Mais tes lèvres ne s’ouvrent pas.
Il n’y a que le silence et les aller-retours d’un écureuil qui va et vient à mes pieds pour remplir le garde-manger. Pendant des années, je voulais te bousculer comme tu m’avais bouleversée. Puis, cette envie est partie de moi, plus ou moins. Car je gardais tout au fond de moi ce désir que tu chavires. Pour mieux reprendre un cap.
Tu finis par dire : « Mais, toi, ça va ?
Car c’est toi maintenant. »
23 mars 2023