Tous les soirs

Elle ouvrit sa main et vit un minuscule bonbon en son creux. Orange translucide brillant. Comme une larme ancienne, un diamant dans les mines. Elle ferma les yeux. Tout devint léger dans sa cage thoracique car elle savait qu’en l’absorbant, elle serait guérie.

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Ce Chinois a besoin d’être sauvé. Ça fait deux mois qu’il se met sous cet arbre. Et sous l’arbre il fait froid. Ce Chinois a besoin de me sauver. Ça fait deux mois que je suis arrivée dans cette ville où je ne connais personne. Je lui demande s’il veut du porc laqué car j’en ai fait un, et s’il dit « oui », je l’inviterai chez moi. Je pense que c’est une bonne idée qu’on s’épaule mutuellement. À deux, nous serons plus forts. J’y crois encore malgré la difficile traversée.

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La fée habitait dans le château du roi. Elle adorait sa nouvelle vie, elle avait débarqué dans la ville deux mois auparavant. Personne ne savait rien d’elle. Le roi lui avait ouvert sa porte et l’avait hébergée. C’est tout ce qu’on savait. Alors, on causait sur elle. La fée éclatait de beauté, prodiguait des soins tout au long du jour. Un soir, le roi tapa à sa porte. Elle ne répondit pas. Il tapa à nouveau. Il entendit le petit loquet. Elle était là. « Ouvre-moi. »
Elle vint et il la vit.
En larmes.
Elle toujours souriante, toujours gaie, toujours alerte.
Il lui demanda :
– Que se passe-t-il ?
– C’est le soir.
– Tous les soirs ?
– Oui.
– Mais qu’est-ce qui t’arrive ?
– C’est un sort, on ne peut rien y faire.

Presque sauvage

En dehors du cercle, tu changes de foi. Tu enlèves tes vêtements d’avant, tu es prêt à te vêtir autrement. En dehors du cercle, tu poses ta chope de bière sur le cercle, et tu la regardes, les yeux brillants. N’aie pas peur, tu ne vas pas tomber dedans. En dehors du cercle, ton regard se laisse balader par les bulles qui remontent. Ça te rend légère et joyeuse. Tu n’as plus peur de tomber quand tu t’aventures en dehors du cercle, car tu sais désormais qu’il y a un autre cercle autour, comme des poupées russes, tu sais que changer de foi t’aide à gravir la montagne, que tu parviens à trouver un second souffle.

Il y a la joie éternelle et l’amour inconditionnel. C’est une porte avec écrit dessus : « Salut les emmerdes. » À moi la belle aventure ! Les plages, le surf, les bonnes bières et les beaux mecs sans plafond carte bleue. C’est le pied de nez.

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Avant cette histoire de mains, tu avais commencé par les fleurs. Des roses rouges pour aller droit au but. Tu ne faisais pas de détour. Je me souviens de ce bouton jaune à ton col, et bien sûr, tu osais la chemise hawaïenne, tu balançais cet éclat de rire à la vie, en te foutant de tout, sauf de la manière, tu m’achetais des bouquets d’iris, tu approchais tes lèvres du rebord de mes accoutrements, ma garde-robe que tu tançais du regard. À notre époque, ça ne se portait pas tant que ça, ces choses-là. Nous usions les TGV, filant comme notre train de vie, et ça faisait du chahut, tu m’extirpais de mon quotidien, tu arrachais les boutons de mon débardeur, tu défrayais la chronique.

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Au nord de Paris, cette femme, assise dans un salon de thé aux murs blancs, lisait depuis des heures, les jambes croisées dans un jogging bleu marine, les chaussettes à nu. Son coeur battait avec une régularité que tout moine zen lui envierait. Elle était parvenue à cette stabilité de rythme suite à une épreuve qu’elle n’avait jamais racontée à personne. Et c’est d’ailleurs suite à celle-ci qu’elle ne raconta plus rien, qu’elle tira un trait sur l’amitié, ou même la copinerie, sans même en prendre conscience. Cela se fit. Elle avait trouvé le calme dans sa poitrine, elle s’accordait ces heures, elle y revenait, personne ne savait qui elle était. Sous sa douceur qui l’enveloppait d’une aura orange, sommeillait un dragon. Dans son sac, une théière et un instant où un homme entra en criant et où elle se retourna, les battements de son coeur en suspens. Le dragon se réveilla, lui-même avec une certaine agilité. Dans la cuisine, le pakistanais leva la tête, fit basculer la casserole qui tomba par terre. L’homme qui était entré muni de cris s’arrêta quand il la vit, elle décroiser ses jambes quand la casserole toucha le sol. Il ne voulait pas hurler. Il voulait ce calme qui se dégageait d’elle, un calme irradiant, presque sauvage.

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L’arrivée de cet heureux événement me conduisit à la gare la plus proche. L’armistice venait d’être signée et j’allais accoucher. À la gare, je restais sur le quai ne sachant pas quel train prendre. Je les voyais partir un à un, ou en groupes. Moi, personne ne m’attendait, c’est moi qui attendais quelqu’un et c’était un enfant. Je n’avais plus de chez moi, retourner chez mes parents me semblait impossible. Pas après ce que j’avais vécu sur le front, pas avec un bébé. Cet après-midi de novembre, je ne ressentais que la paix, certes inattendue mais profonde dans mon corps. Tout apparut essentiel et donc précieux. Je ne me sentais pas pressée même si je savais que la nuit allait bien finir par arriver. C’est quand je fermai les yeux, les mains posées sur les genoux, que j’entendis une voix. Elle me causa en anglais. J’eus envie de la suivre. J’eus envie de traverser la mer.

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Sauf que j’en avais marre de ces récidives, qui me lassaient. Tu finissais par t’affadir. Je pris tes chiffons, tes orchidées qui sentaient un snobisme qui ne te ressemblait pas et les balançai à la poubelle. J’achetai deux billets aller pour Amsterdam, refusant l’idée même d’une répétition. J’exigeai que ce soit vierge sur la page.

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– Nous sommes deux enfants ; nous avons fait une folie.
– Tu n’aurais pas dû prendre la pelle.
– C’est moi qui t’ai dit de le faire.
– Et je ne suis pas censée t’obéir, n’est-ce pas ?
– C’est que je culpabilise.
– Il ne faut pas culpabiliser mon chéri.
– C’est juste que j’ai peur qu’ils accusent Cédric.
– N’aie pas peur, ils vont accuser Cédric.
– Même sans cadavre ?
– Bien sûr. Sans cadavre. Ils sont capables de tout.
– Si nous avions laissé la pelle, peut-être qu’ils ne l’auraient pas inculpé.
-Nous sommes des enfants.
– Et lui, c’est un tox ce qui revient un peu au même.
– Je n’en reviens pas. Sans cadavre, comment savoir qu’elle est morte ?
– Nous n’avons pas le dossier de l’instruction ?
– Nous ne l’avons pas. Mais nous étions là, souviens-toi.

J’aimais ce garçon

Aujourd’hui j’aimerais prendre le train en sortant du travail. Sans savoir où aller. J’étais attachée à cette vie parce que j’aimais ce garçon et maintenant qu’il est parti, je n’ai plus goût à tout ce qui fait mon quotidien. Je sais qu’ici personne ne m’ouvrira sa porte pour que je puisse pleurer autrement que seule. Au moins, le train, lui, me bercerait et je serais contenue dans son habitacle. On lit souvent dans les romans que tout peut être bousculé en une seconde. C’est vrai. Tout explosa le jour où le garçon inversa tout ce qu’il avait dit jusqu’alors. Il m’avait retournée comme un gant de vaisselle. Ma vie ne me servait plus à rien vu que je n’étais plus moi. J’allais enfin aller me perdre au bord de la mer.

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Si je n’avais pas su que c’était l’amour, je l’aurais pris pour une épée nue, et il m’aurait tuée, le filou.
Mais quand sa présence vint me percer, je me sentis légère, genre je suis une bulle de savon. Parce que je sus que tout ce qui me chamboulait dans ces torrents de sang chaud, sentant les flots dans mes veines libérées, c’était l’amour. Pas l’amour dont on parle, dont ils parlent à l’extérieur, pas leur discours pour t’amadouer afin de te domestiquer, mais l’amour qui, pour eux, est une épée nue, parce que recevoir ce flot, pour eux, c’est être percuté par le tranchant d’un glaive, alors qu’il s’agit de leur réveil, le réveil de la mort dans laquelle ils se croient vivants. L’amour n’a pas le goût de l’amour, c’est ça qu’ils ignorent, et moi, je sus quand je le regardais m’affranchissant de toute peur.

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C’est un temps passé, je te le jure.
Plus je lui disais ça, plus que je savais que c’était faux. J’aimais bien le répéter tel un mantra pour conjurer le sort, pour foutre en l’air le semblant de cohérence ou plutôt une idée de maîtrise. Il avait envie de me débrider, il veillait à ce que je ne sois plus domestiquée. Son arrivée dans ma vie, ça avait fait comme un petit trou, je me sentais du caoutchouc mou quand il arrivait vers moi. Il éradiquait le passé douloureux et le futur blanc. Il était un explorateur viking qui avait traversé les mers calmes. Qui chevauchait mes résistances en n’écoutant pas les mantras que je proférais et quand bien même, ainsi de cette manière, coulait une bleue renaissance sur nos corps allongés sur le sable mouillé.

Puis-je t’aider à assouvir cette faim ?

Une escadrille de sales meufs débarqua dans le bar. Elles étaient venues par les pistes cyclables. Johnny resta placide à leur arrivée. Il avait arrêté la rationalisation depuis longtemps, ça ne payait plus comme avant. Il s’était mis à fréquenter les rades tard le soir. Ça lui permettait d’oublier la joliesse de sa bien-aimée qui avait été assassinée la semaine passée.

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Seule j’ai marché sur cette plage
Où j’attendais le retour de l’être
Unique en mon coeur
La lune rythmait l’écoulement du temps
Amoureuse je tenais debout et
Gagnait patiemment en maturité
Et puis tout s’accéléra
Ma vie bascula
Et je me retrouvai échouée
N’attendant plus rien, goûtant la beauté du rivage
Tranquille.

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Elle s’étendit à plat ventre sur le tapis, tout le monde s’arrêta de parler. Elle avait quelque chose à dire. Quelque chose de grave et de beau.
De par son histoire, elle savait que son seul pouvoir à interrompre le cours de l’Histoire passait par son corps. Luigi voulut s’élancer vers elle :
– Non.
Car il savait ce qu’elle avait enduré depuis que ses parents l’avaient jetée hors de chez eux. Mais Luigi se retint. Il resta immobile.
Et eux, ces messieurs de la cour n’avaient jamais vu ça. Ils ne savaient pas ce que c’était de dormir dehors dans l’enfance,
ils ne savaient pas ce que c’est de frapper à une porte avec une question au bord des lèvres,
ils ne savaient pas ce que c’était d’avoir faim. Et pourtant on lui voyait les côtes, à elle étendue par terre
À peine avaient-ils arrêté de parler qu’on entendit le frémissement du taffetas de la robe de la reine qui arrivait.
Et c’est avec un silence souverain qu’elle entra,
Des anneaux
Accrochés à ses oreilles.
Le jour déclinait. 
Mais la lumière restait forte, comme scintillent les étoiles que l’on découvre en mer.
« Tu seras entendue » dit la reine à la catin à terre.
Celle-ci sourit.
Un homme se démarqua du groupe en avançant d’un pas. Il dit : « Tu sens l’animal sauvage. » Il la saisit par la taille et l’emmena avec lui. Elle se débattit, le mordit au cou. Il resserra l’étreinte jusqu’à la coller contre son corps. La reine les regardait, en plissant les yeux, les lèvres au bord de son sourire, ravageur de cette infinie tendresse que rien du pouvoir n’avait entaché.
Elle le savait un homme de confiance. Elle le savait éperdue d’elle, contre les vents, même en revenant des guerres. Il tenait la fille à l’agacer, ça la calmait. Il fallait juste attendre quelques minutes.
La reine lui proposa de l’écouter. Il la lâcha. Mais curieusement elle resta près de lui.
– J’ai faim.
La reine lui dit :
– N’as-tu point à manger ?
– J’ai faim d’un plaisir que je n’ose pas vous avouer.
– Puis-je t’aider à assouvir cette faim ?

Il me dit : « Tu me manques. »

Tu ne comprenais pas ce qu’était une interdiction, interdiction ce mot n’avait aucun sens. Sans interdiction tu franchissais les limites, imposant des interdictions aux autres en leur imposant tes limites. Au détour d’un panneau d’interdiction, tu ne vis pas l’interdiction qui aurait pu te freiner dans ta surenchère à ton affranchissement de toute interdiction. Et pourtant ta mère t’avait frappé à chaque interdiction qu’elle te dictait et frappé à chaque fois que tu l’oubliais. Elle te frappait aussi quand il n’y avait pas d’interdiction. Moi, je trouve ça dommage qu’il n’y ait pas eu d’interdiction à l’union de ton père et de ta mère. Car une femme doit avoir le choix de son époux.

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Cette nuit, j’ai cassé un câble. Tout doucement, sans un bruit. J’avoue, je n’attendais plus ce moment. Il était tendu et j’avais capitulé.
Cette nuit, j’ai senti qu’il avait lâché. Ça m’a fait presque peur, l’opacité du silence, comme si la tension de ce câble faisait du bruit. Comme si la douleur ronronnait en permanence, en arrière-plan. On m’avait prévenue que ça serait dur, mais ça avait été bien plus dur. Alors… Mieux vaut prévenir personne de rien. Surtout quand on ne l’a pas vécu.

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Elle se décida à retourner aux écuries pour gueuler un bon coup. Il était là, comme d’habitude. Ce mec riveté à ses habitudes, donc j’aurais dû écrire « comme à son habitude. »
Au contraire, gueuler n’était pas son habitude à elle. Il recula d’un pas sous la houle de ses cris. Elle, elle si réservée, si timide, inclinant la tête comme par déférence, depuis toute petite qu’il la connaissait, semblait possédé par un démon. Les cheveux lâchés, les yeux brillants, la cravache tendue vers lui, rien n’arrêtait son dégueulis verbal. Ce qu’elle avait contenu en elle depuis l’enfance se répandit ainsi. Il avait suffi d’un mot de sa part à lui.

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Pierre était venu. Elle attendait Pierre depuis un an. Elle n’en avait parlé à personne. Pierre avait dit : « Donne-moi un an. » Elle lui avait donné. La veille, elle avait soudain ? de la folie de cette attente. Se souviendrait-il de sa promesse au jour près…
Pierre s’était souvenu. Il était venu. En le revoyant, elle fut surprise par son propre ressenti. Elle remarqua qu’elle ne l’avait jamais cru et que si elle l’attendait en silence, elle ne pensait pas à son retour réel. Quand elle ouvrit la porte et qu’elle le vit, elle en fut si bouleversée qu’elle tomba dans ses bras. Elle avait oublié sa beauté, elle avait oublié combien elle l’aimait, pour se prémunir de la déception. Quand il entra et qu’il resta la nuit, elle ne remarqua pas qu’elle avait oublié le châtelain, le château, la jument. Pierre avait tenu sa parole et elle n’avait jamais connu une personne qui avait tenu sa parole.

Au départ de Pierre, elle pleura… Elle pleura beaucoup. Ayant peur de se noyer dans ses sanglots, elle allait sonner à la porte du château. Elle devait oublier. La parole d’un homme ne vaut rien. Sa mère en avait fait les frais et elle les avait subi toute son enfance. Le château semblait un endroit sécurisant. Et le châtelain, personne n’irait le réquisitionner pour la guerre. Elle lui demanda à monter la jument. Il répondit qu’elle pouvait venir chaque jour, à quatorze heures. Ce qu’elle fit avec une assiduité quotidienne.

Il l’attendait depuis une heure, l’attente le rendait nerveux. Il avait scellé le cheval après l’avoir brossé en sifflotant comme à son habitude. Il aimait la recevoir ici, dans son château. C’était son bonheur à lui de la voir débarquer à la porte des écuries. Sa silhouette taillée dans les rayons du soleil en contre-jour faisait tambouriner son coeur. Parfois elle courait jusqu’au box et alors il se réjouissait de sa respiration forte quand elle arrivait face à lui. Mais ce jour-là elle marcha lentement jusqu’à lui. Si lentement qu’il crut qu’elle n’arriverait jamais. Il lui dit fort pour qu’elle entende : « Dépêche-toi, tu es déjà en retard.

À peine eut-il fini sa phrase qu’elle disparut.

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Rien ne me fait plus peur que te perdre. Quand j’ai dit ça en arrivant à l’hôpital, ils m’ont tout de suite internée. Et sans le dire, je connaissais le diagnostic qu’ils avaient posé sur moi. Ça faisait longtemps que j’avais toute une théorie sur cette peur de perdre comme une des causes principales de la violence. On a, nous, une si grande peur de perdre que ça nous rend autres. Ça fait de nous des êtres différents. Nous, au milieu de ceux qui disent : « C’est normal de ne plus avoir de nouvelles des gens, c’est normal que tout le monde se lâche au premier inconfort émotionnel. » Nous sommes ainsi, nous, enfin eux, sont des hamsters dans la roue : « Tout va bien, tout va bien. »
D’ailleurs, c’est moi qui suis entrée à l’hôpital.

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Je soupire et l’air tel une vague me prend dans ses bras. La tension se dissout, je me sens plus légère. Je soupire en lisant la lettre de mon soupirant qui aspire à être à mes cotés. Je soupire découvrant son inspiration pleine de débordements lyriques et colorés. Je ne voudrais pas être triste, mais j’ai un pincement au coeur. Je l’imagine soupirer en écrivant au bord de l’eau, c’est un petit village en Crète. Je n’y suis pas allée l’hiver, mais ça doit être beau. Je soupire car il m’écrit de venir. Il se languit de nos promenades, les pieds dans la mer à discuter à bâtons rompus. Bien sûr, j’aimerais le rejoindre. Ce que j’aspire à faire après le tournoi de rugby.

Le parfum de notre respect

Te voilà à Svinndal, un bonbon en guise de vibromasseur, on t’avait dit d’éviter la forêt. L’essentiel pour toi, ça avait été de sortir de la cave qui avait fini par devenir ta prison. Tu avais regardé l’horloge, tout en prenant conscience que si tu connaissais l’heure, tu ignorais le jour, le mois puis l’année. L’essentiel pour nous, ça avait été que nous avions réussi à te faire parvenir le cd de Nirvana avec un message codé dedans. J’avais tiré les rideaux de ma caravane, renoncé à m’allonger sur le lit pour me saisir d’une brique de jus de pomme. Ça m’aidait à ne pas prendre la scie circulaire pour découper en morceaux ce porc qui t’avait enlevé à moi et notre futon d’amour.
Te voilà à Svinndal, ne bouge pas, attends-moi, je vais d’abord passer à la Banque Postale récupérer mes cigarettes au CBD.

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Je pleure, assise sur une charrette, les mains entre les cuisses. Seule au milieu des champs. Derrière moi, un berceau avec notre enfant. Sur une branche, un oiseau dont le chant me nourrit. Je devrais rentrer au bistrot, mais je suis trop désespérée pour pouvoir l’envisager. Des canards se mettent à battre des ailes, sur le lac à quelques mètres. Ils sont deux, gais. Tout simplement, gais.

Je pleure, parce que j’ai peur que les effets du passé me reviennent à la figure comme projetés par un élastique. Le passé en la forme bombée d’une madeleine, malgré la tension que mon corps tente de libérer par les larmes. C’était d’abord une maison, et pour moi, c’était mon château. Mon garde-fou.

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Faites ramollir les feuilles de thé que l’eau soit noire, noire comme la boue.
Faites en sorte que l’eau soit bouillante ou presque, avec des petites bulles à la surface.
Faites que la peau apprécie ce mélange, la peau de notre hôte qui va bientôt entrer dans la pièce.
Il aura attendu que le frémissement de l’eau apaise. Il sait attendre le moment propice.
Mes soeurs, faites qu’il soit bien comme il ne l’a jamais été, car nous devons l’honorer. Plus exactement, il doit se sentir honoré.
Mes soeurs, je vous en prie, faites qu’il respire le parfum de notre respect le plus profond. J’éprouve l’ardent désir de le voir se dévêtir dans la pénombre et pénétrer le bain imbibé du thé que nous y avons plongé.
Mes soeurs, faites tout pour que mon désir soit exaucé que je puisse découvrir son sourire, ce sourire que je n’ai jamais pu oublier, de cette première fois où je l’ai vu.
Mes soeurs, vous savez tout ce que j’ai fait pour le revoir à nouveau, lui, son sourire, et même son corps entièrement dénudé.

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Je n’ai pas fini de pleurer et ça, ils ne le comprennent pas. Aujourd’hui eux comptent les larmes comme certains comptent leurs balles. Compter, il ne leur reste plus que ça. Je n’ai jamais été bonne à leur jeu. Ma balance interne a toujours fonctionné autrement. Et c’est sans doute pour cette raison que je pleure sans espérer pouvoir m’arrêter. Car comment serait-il possible que je puisse quitter ces pensées, cette sensation que ces sanglots provoquent ? Et ceux qui s’en étonnent, ceux qui ignorent le chagrin, ceux que la poésie ne fait pas chavirer, je les vois marcher tel des sentinelles au-dessus des remparts et je leur dis : « Vous n’avez pas la possibilité d’imaginer le monde si un chef de goulag avait eu des larmes coulant sur ses joues. »

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Lulu est accroché sur les rails. Je sais tu vas me dire que c’est impossible. Et je te répondrai : « Ce n’est pas que c’est impossible, c’est que c’est vrai. » Depuis toujours, tu me dis souvent que c’est impossible quand je te raconte une vérité.
Alors je recommence, si je t’appelle pour te dire que Lulu est accroché aux rails, c’est pas pour déserter, c’est pour agir Ducon.
Ne m’oblige pas à passer par l’agressivité ou la menace. Je t’en prie, mon amour, Lulu est…
Tu sais.
Les rails derrière la maison de ma grand-mère, tu vois. Tu peux faire quelque chose s’il te plaît ?
Avant que le train le déchiquète. Ah non, s’il te plaît, mon amour, en plus là je n’ai pas le temps de t’appeler mon amour, ne me demande pas comment nous en sommes arrivés là, ce qu’il a été encore faire dans les bordels ou quoi, ou qui il a été truander, ne me demande pas, juste bouge ton gros cul, mon amour. C’est le jour où tu vas sortir ta Ferrai car on doit y aller vite.
S’il te plaît, mon amour.

Demain

Demain il reviendra après être parti en croisades. Doucement il me prendra tout contre lui. Moi aussi je serrerai comme depuis toujours que nous nous connaissons. Vaillamment, nous avons accepté notre destin.
Demain il ouvrira la porte, mû par cette force qui fait de lui mon être unique.
Demain je vais lui préparer une chorba, avec quelques feuilles de coriandre. Calmement, il s’assiéra et retirera ses bottes.
Demain c’est notre jour. Pour toujours.

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Mon cher hurluberlu, mon grand fou,

Il est hors de question que je vous ferme ma porte. J’adore vos blagues et votre façon de vous montrer si affecté par le frémissement que vous prétendez avoir ressenti lors de notre dernière promenade. C’est vrai, je suis d’accord avec vous, vous me l’écrivez sottement et ça ne va pas dans le bon sens toute cette bêtise. Reprenez-vous donc. Que nous puissions prochainement aller boire un chocolat chaud au château et que je puisse enfin vous voir tout nu.

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Si je n’avais pas su que c’était l’amour, je l’aurais tué. Parce qu’il a surgi de nulle part, il n’avait pas frappé à la porte, le filou. Sa beauté, ses gestes à l’envergure d’aigle, son regard brillant de bonté, ses habits noirs le serrant à sa peau brunie par le soleil firent que mon coeur se mit à battre à un rythme que je ne lui connaissais pas. Si je n’avais pas su que c’était l’amour qu’il apportait, je lui aurais tranché la gorge. Mais j’ai su. Et comment savoir quand on n’a pas connu le phénomène ? J’ai su parce que j’avais suspendu la peur. Suspendre la peur pour le regarder cet inconnu, tout entier dans sa folie d’y croire.
Je ne l’ai pas tué, il s’est assis et s’est mis à pleurer.

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Je suis repartie très heureuse, persuadée que rien ne pouvait s’opposer à la tombée de la nuit. Et qu’ainsi je pourrais me camoufler dans les recoins de l’obscurité. Ce bateau, je le prendrais quand je le prendrais. Là, je me blottissais dans un petit coin, à l’abri des regards. Comme le temps passait, je me mis à sentir ma respiration. Elle se diffusait tel un parfum. Non, lune ne vient pas. Respirer, ça ne fait pas de bruit.
Alors,
sur ces quais aux parvis luisants, mais secs, avec le sifflement des fils sur les mâts, le temps s’arrêta.

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Je souris. Lui faire mal, c’était l’enlacer avec douceur, lui déposer un baiser sur sa peau tendre à quelques centimètres de ses blessures. Il s’était retourné : recroquevillé, les cicatrices à nu, et, implorant de son regard qu’il avait brillant et franc, avait prononcé alors que je m’avançais, tellement lentement vers lui que l’émotion le surprit : « Ne me touche pas, sinon on ne s’en remettra pas. »

Chevalier d’amour

ll se retourna vers le sablier vide et cria. Il avait réussi à vivre jusqu’ici parce qu’il savait passer au travers du chas d’une aiguille. Il pouvait se montrer d’une souplesse câline et salvatrice, c’est elle qui lui avait permis de garder son coeur attendri. À cause d’un ongle incarné, et autres tracas, il avait saisi la balle au bond de mon âme. Ça nous avait sans doute sauvé tous les deux, alors que nos destins à chacun nous avaient placés sur le fil entre deux grattes-ciel tels des funambules. Je dis ça parce que je sentais demain vivant. Quand j’entendis son hurlement, je sus qu’il était en train de se transformer en chevalier d’amour, que lorsque le crépuscule irradierait en son cri d’un ciel nouveau, nous serions prêts à partir sur la flaque de sel tranquille, en dépit de la marée enfuie.

Après quelques jours de silence, la montagne disparut. La forêt resta droite et digne, les insectes colorés se mirent à la convier jusqu’à l’honorer. Après quelques jours de silence, il revint à la parole par des bribes de mots, des mots courts. C’était cette fille qui était venue à lui, à la cime où il s’était réfugié suite au déluge qui avait tout détruit de sa vie. C’était elle qui le prit dans ses bras à elle alors qu’il s’était dévoué à la montagne. Il avait oublié les détours des êtres humains, leur façon de faire, de non-faire et de défaire. Il s’était fondu dans la majesté naturelle et quand cette fille était entrée là, dégoulinante de l’eau de la pluie, il avait été frappé par ses petites chaussures mouillées.
Rien que ces pieds de femme sur le palier de sa maison, ça lui fit battre son coeur comme s’il avait un bout de quatre-quart au milieu de la poitrine. Rien que son visage à elle avec ses joues rebondies, rougies par l’air pur, avec l’esquisse d’un sourire masquant à peine à quel point elle était épuisée de tout ce qu’elle avait traversé.
– Entrez.
Quelqu’un qui lui proposait d’entrer
Après toutes ces années de portes fermées. Ça lui faisait envie, ça lui brulait le bout des doigts, ça lui donnait envie de courir en dévalant vers la plaine. Sans frein pour jouir de toutes ces caresses perdues qu’elle pourrait récupérer à foison en retour, en contre-échange, de toutes les stries des violences qu’elle avait subies depuis le déluge qui avait tout détruit de sa vie.
En retour, de l’amour à profusion et en épis.

Adieu Joe

Ils partirent sur les routes, leur coeur hors d’usage
Ils se regroupèrent par grappes, nombreux
Leur souffle les portait au travers des cèdres
Et ils espéraient, vêtus de manteaux verts
Là, certains se languissaient, échauffés
Leur visage rougi, proches de la vague
Ils hurlaient, leur pas arrêté
Visiblement, ils n’aimaient plus, là
Sur la côté basque, les yeux clos
Tout tremblants, au milieu de cette audience
Nous gémissions, nous les encouragés
Le plus fort, je le savais, c’était le plus lent
Nous comptions sur lui pour éradiquer l’adversaire
Pas comme les autres, ceux que nous connaissons
Autrement nous devions faire, tel les ancêtres
Mais radicalement autrement, comme des enfants
Nous rêvions, habités du désir de ne pas être congédiés
Mais nous gardions la flemme, tout au bord,
Hommes soumis à la terreur
Mais courageux, plein d’une ferveur plaisante
Ils n’useraient jamais notre joie
Certes il faudrait du temps pour nous conquérir
Car la fin sera émouvante
Oui, la porte allait venir
Mais pour l’instant, qui peut prédire l’avenir ?
Là, l’envie de continuer le combat devient urgente

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Il entre. Il est grand, il est tout en muscles, il a les yeux bleus. C’est un gars de la rue, la rue où il a grandi, lui gitan, grandi dans une caravane, la rue d’où il vient quand il entre ici. Ici, c’est une petite chambre au-dessus d’un café. Le café de mes parents. Il s’assoit après ces dix minutes où il me regarde, où il parle, où il se tait.
Puis,
il s’allonge à côté de moi, il écarte le pan de ma chemise pour y découvrir ma poitrine tout en écoutant le poème que je lui récite. Il masque sa peur dans des gestes lents, je masque mon angoisse découvrant son arme à sa ceinture. Ses paupières battent, comme surprises par de la timidité quand j’empoigne son bras. Il me tourne pour me serrer contre lui, je lui dis : « Attention » en entendant quelqu’un monter les escaliers. J’ai peur que mon père entre pour me déballer toute sa journée. Et nous ressentons la puissance du soulagement quand les pas continuent à grimper au-delà de la petite chambre. Je tombe dans les bras du gitan et le caresse jusqu’à profiter de ce nouveau bonheur. Maintenant nous irons main dans la main.

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Ce corps que je découvre encore à chaque marée, ce corps qui est toujours d’accord pour se mettre en accord avec mon corps. Ce corps sans cesse renouvelé par son goût de prendre à coeur et à corps chaque instant de la vie revient me dire « bonjour ». Ce corps encore proche de mon corps crie à corps perdu de revenir encore.

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Je déchirai ces dernières en une brusque secousse. Joe s’arrêta de parler. C’était son bien précieux et je l’avais encouragé à les écrire, jour après jour, et ces jours étaient devenus des semaines. Puis, des mois. Ses yeux faillirent sortir de leurs orbites. J’ai cru qu’il allait me sauter dessus. Joe et moi, nous nous étions rencontrés dans les tranchées. Nous ne nous quittions plus. Quand l’obus secoua la terre, et que Joe hurla qu’il allait franchir la ligne pour bondir dans le no man’s land, je pris les feuilles, ces feuilles qu’il avait écrites avec le sang de son coeur. Son attention se fixant sur moi, il oublia son envie de s’extirper du trou, il oublia les débris d’os et de chair qui tombaient autour. Il ne pensait qu’à une chose : m’étrangler.
Alors, je saisis mon arme, bondit hors de la tranchée et fonçai devant moi, en hurlant : « Adieu, Joe ! »

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Il ne fléchirait pas. Il n’en avait parlé à personne. Il était allé le chercher après des mois de recherche. Il l’avait bichonné comme son grand-père lui avait appris à le faire ici même dans cette ferme. Elle l’avait supplié qu’elle n’en voulait pas, pas après ce qui leur était arrivé, pas après ce que ça leur avait coûté, la maladie et la mort de l’enfant. Ils n’avaient plus un sou, ils ne vivaient plus main dans la main. Mais, il ne fléchirait pas. Il voulait qu’elle reçoive ce don. Elle en rêvait depuis petite fille, petite fille quand elle venait à la ferme et qu’il avait commencé à jouer avec elle jusqu’à l’aimer. Elle y avait droit, surtout après l’épreuve et tout ce qu’elle y avait laissé. Elle ouvrit la porte, il la prit par la main, il la fit même courir pour qu’elle découvre ce qu’il lui avait choisi, ce qu’il allait lui offrir. Alors, elle pleura quand il ouvrit la porte du van et qu’elle vit le magnifique étalon qui en descendit.

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Au dernier étage, j’attends Batman. Il fait nuit, il pleut, il y a du vent. Personne ne vient plus dans ces locaux d’un service psychiatrique désaffecté. La psychiatrie a disparu depuis longtemps. Ma vie a basculé le jour où Batman m’a appelée pour que je travaille avec lui. Je vivais depuis deux ans dans une grotte à quelques kilomètres de Gotham. J’y vivais avec un être que la société avait rejeté. Nous vivions la nuit pour que personne ne puisse nous atteindre. Et un jour, ou plutôt un soir, il est venu. Il avait entendu parler de moi pour mes années de service dans la santé mentale et dans les milieux de la marge.
Nous nous retrouvons chaque vendredi au dernier étage dans la pénombre pour élaborer le planning de la semaine suivante. Pour accompagner ceux que l’État ne soutient désormais plus.
Dans la city la vie devient étouffante. Les poubelles empêchent les voitures de circuler, les devantures des magasins sont fermées. Chaque jour, les gens noircissent les trottoirs en hurlant. Dans les arrières-cours, je reçois cette cohorte de personnes qui viennent s’épancher. Il y a Paula qui organise ce qu’elle appelle des cercles de paroles. J’aime voir les gens parler à nouveau, car il y a des années, ils se sont tus presque du jour au lendemain le jour de la grande peur. Plus personne n’eut la force de se battre. Il fallut du temps pour recommencer à frémir, à sourire, à chuchoter. La grande peur nous avait tétanisés au point que notre parole fut bloquée. Batman parla peu, mais je compris vite sa proposition. Ce fut long, ce fut pénible. Peu à peu, nous pûmes nous retrouver dans les refuges ignorés de la Police. Il ne s’agissait plus de comprendre, nous avions besoin d’agir pour nous sentir vivants. Paula m rejoignit et tout de suite elle toucha mon coeur et ça me fit tellement de bien, moi qui avait vécu dans la grotte et continuait à y vivre. J’aimais sa façon de trouver rapidement des solutions, de créer de nouveaux dispositifs, de toujours ruser avec l’adversité. Nous résistions depuis des années, et nous devions maintenir ces bulles de solidarité intactes coûte que coûte.
C’est le dernier jour. Personne ne le sait sauf moi. Alors je les regarde avec beaucoup de tendresse et de tristesse. Deux émotions que j’éprouve dans un monde peuplé de zombies. Car ils nous ont élevés à l’indifférence. C’est le dernier jour où nous ne parlons pas russe. Car ce territoire n’est plus le nôtre, il est celui de demain.

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Dans une grotte, je fume par amour. On m’a toujours dit : « Faut pas faire n’importe quoi pour un autre que soi. »
Je fume par amour, j’ai quitté mon lit et j’ai couru. Toute ma vie j’ai semé des lettres et des gestes tendres. J’évolue sur les âmes, sans aboutir. De désespoir et par détresse, je crée des cabanes pour mes aimés. Je n’explose pas. Il n’est jamais question de réduire mes intentions, j’attrape tout ce que je peux quitte à désarmer le pire des salauds. Je lutte contre ma honte, vêtue de guenilles. J’aspire à retrouver mon jardin, m’y asseoir et manger. Et ressentir l’effet que ça fait de goûter au souffle de la rédemption.

Mercredi comme un jeudi, mon coeur est toujours ouvert.

C’est la première fois que je viens. Et cet endroit, j’y ai pensé pendant des années. J’y pensais le soir, le matin, la nuit. Je venais venir le jour où tu serais prêt. Je ne sais pas si tu as remarqué ce temps d’attente comme nécessaire à tant de personnes. Je n’avais pas ce souci, moi je pensais que je t’attendais depuis longtemps, donc quand je t’ai rencontré, je n’avais pas envie d’attente. Mais toi, tu n’étais pas dans le même état d’esprit. Tu avais d’ailleurs perdu ton esprit. C’est la première fois que je viens pour te voir.
Maintenant que tu as récupéré ta tête,
ta tête qui t’avait abandonné sur le champ de bataille, de l’autre côté de la muraille.

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Elle est gaie. La surprise dans le Kinder est exactement ce qu’elle voulait. Elle se dit que c’était son jour de chance alors elle partit acheter des tickets de jeux au tabac de Richard, elle qui ne jouait jamais ! Et elle sauta en l’air : elle gagna cent euros juste de quoi s’acheter la paire de baskets dont elle avait envie depuis des mois. Et quand elle arrive au magasin, elle s’étonna de l’ouverture des soldes. Elle fit une économie de vingt-cinq euros. Avec elle put s’acheter un maillot de bain. Parfait ! Elle avait donné rendez-vous à Antony demain matin à la piscine des Tilleuls.

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Ils se réunissaient dans le bidonville, ils y étaient nés, ils y revenaient. Le chef était un petit bonhomme qui avait l’air de rien, genre habillé de loques. Sauf qu’il était un prince. Un vrai. Il les fédérait, avec l’étincelle de l’intelligence, celle qui écoute la pauvreté des uns, l’arrogance des autres. Car dans les deux cas, il s’agissait de la même quête : les uns et les autres demandaient de l’amour, sans même le savoir, car, pour la plupart, ils ne l’avaient jamais connu. L’homme était accompagné d’un dindon qu’il avait recueilli à la naissance. J’étais son escorte, et même si j’étais une fille, je n’étais pas son escort girl. Vous comprendrez. Je l’escortais. Seule la transcendance avait pu imaginer une telle association. Improbable, et pourtant magique et efficace. Les gars venaient des quatre coins du pays, le temps était venu de fronder.

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Le matin je vois la fumée du café danser au-dessus de la tasse. Sa volute disparait quelques secondes après. C’est dans ce mouvement que je reçois le message du temps qui passe, le temps s’incarne dans le dessin de la vapeur d’eau.
Le midi je sens les pommes qui se caramélisent dans le four, et leur enfonçant un couteau dedans, je teste la dureté de leur chair.
Le soir j’entends les frites qui sautent dans l’huile comme des enfants qui jouent à la marelle. Les patates découpées rigolent ; leurs rires me rappellent ces moments d’enfance où nous allions au bord de la plage, près de la jetée à la baraque à frites, baraque à frites qui est toujours là… Malgré les années qui ont passé.
Le soir j’entends mes souvenirs frapper à la porte.

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Ce samedi-là, Elisa passa plus de temps que d’habitude dans le grenier où elle se rendait tous les jours depuis que son être aimé avait disparu. Vers midi, elle avait vu un papier blanc dépassant d’un livre alors qu’elle époussetait l’étagère. Elle avait tiré dessus et reconnu son écriture, l’écriture de son cher… Avec un petit dessin. « Où tu seras, je serais, là où je serai, tu seras. » En-dessous, un petit dessin comme un plan, elle y reconnut la gare du village, la boulangerie… Elisa s’assit sur une chaise, son regard se perdit dans le ciel qu’un orage tentait d’envahir. Elle retourna le papier en se souvenant de sa voix, sa voix le matin et sa voix le soir, sa voix quand il la caressait, allongée dans l’herbe. Et, sur le verso du dessin, Elisa fut surprise par une date et une heure.
Des larmes montèrent en elle.
C’était le lendemain.