Improbables retrouvailles

Sous la féerie de la nuit, je nous imagine réunis. J’ai toujours rêvé à l’impossible, comme si cela m’était nécessaire. Ou est-ce parce que je nourris mes pensées avec l’imaginaire.
Sous la féerie de la nuit, allongée dans le hamac que Nino a placé là, je nous vois ensemble, sans heurts, juste heureux d’être là sans avoir le besoin de prononcer un mot. J’aime ça, réaliser l’impossible. Ca nécessite de s’accorder beaucoup de temps, de rêvasser le regard perdu dans les étoiles jusqu’au moment de l’impulsion, l’impulsion de poser le pied à terre pour agir.
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J’ai adoré avoir dix ans. Mon père m’emmena à la chasse au début de l’hiver. J’ai adoré découvrir la chasse, j’avais l’impression d’être un garçon ce dont j’avais toujours rêvé. Je n’avais pas de frère et ma mère était morte quelques années auparavant. J’étais l’aimé.
Et mon père me traitait comme si j’étais un garçon.
Les hommes de la tribu m’accueillirent comme tel quand mon père me fit venir avec lui. C’est en allant à la chasse que j’appris à rester impassible, à attendre sans ciller, quand bien même la tempêtes lèverait.
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Putain d’encéphalogramme de merde ! Il a cru qu’en me décryptant, il saurait tout de moi. C’est qu’il voudrait que ce soit clair et net. Contrôlable maîtrisable dompté domestiqué sanglé bridé cadenassé, putain mais c’est dingue le nombre de mots qui existent pour définir ce qu’il voudrait ! Alors que, regarde comme c’est mon cerveau, certes il y a une limite bien définie, ce que lui ne perçoit pas. Il y a dans le flot de e qu’il croit flou une structure et une cohérence.
Et il y a cet insaisissable.
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Il ouvrit sa main ou dedans il cachait une pierre,
devant moi assise sur une chaise. Je pris la pierre et la posai à côté de la pièce de monnaie sur la table.
– Alors, tu viens ?
– Je viendrai, répondis-je, en voyant le caddie de supermarché derrière lui, rempli d’armes et de vêtements.
Je me souvenais que j’avais dû rabattre le strapontin du métro tellement la rame était bondée ce jour où nous nous retrouvâmes sur ce quai. De la même façon, il m’avait dit : « Tu viens ? » Et nous avions commencé à parler quand nous nous étions assis sous le toboggan d’un square. J’aurais tant voulu immortaliser ces improbables retrouvailles, sauf que nul d’entre nous ne possédait d’appareil-photo. Je baissai la tête alors qu’il se mit à causer. J’étais telle une souris devant un morceau de gruyère. Alors que lui me semblait, des années auparavant, un chat devant une bassine d’eau.
Je compris au moment où il ouvrit la bouche sous le toboggan que je m’étais trompée.
Il avait pensé à moi, à sa fenêtre de prison et se promettais d’être ma fidèle amie jusqu’à ce que je sois une vieille dame même s’il devenait clochard.
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Il prit un cutter pour couper la ficelle qui attachait mes poignets, j’étais coincée dans une cuve depuis deux jours. Si je racontais ça aux autres, ils diraient encore que c’est une fabulation. Mais il était là, il sentait bon le sable chaud et il allait m’emmener loin. Et c’était cool.

Antonio ? Antonio

Mais c’est quelque fois au moment où tout semble perdu que la porte s’ouvre sur un autre horizon… Non ce n’est pas un autre horizon, c’est une dimension que l’on ne soupçonnait pas. Comme s’il fallait que tout, presque tout, se dissolve pour laisser la place à l’émergence de la dimension insoupçonnée. Car comment la voir si l’avant ne disparait pas.
Où tout nous semble… Car rien n’est jamais perdu, sauf dans les apparences par définition trompeuses, ces fantaisies auxquelles tu t’accroches comme si ta vie en dépendait, alors que ce n’est pas la vie, c’est encore moins la vie.
Dis-toi que quand tout te semble perdu, tu peux laisser la vague qu’aucune de tes plus belles espérances n’aurait pu envisagée te prendre.

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Oh, arrête ! Son regard se figea. Le temps que la voiture ralentisse, il fut trop tard. Moi, je me souvenais de ces fois où je lui demandais d’arrêter quand il allait trop vite. Et que ça lui plaisait quand je parlais avec cette voix-là. Et je me souvenais de ce jour où il n’avait pas freiné et qu’alors les flics lui avaient tiré dessus. Il ne s’était pas arrêté. Quand je dis : « Oh arrête » ce jour, bien des mois après, je ne savais pas à ce moment que c’était la dernière fois. Je venais de comprendre qu’il ne m’aimait pas, qu’il ne m’avais jamais aimée. Quand la voiture stoppa sa course, je pris mon téléphone, composai un numéro et dis : « Antonio ? Antonio… Tu peux venir me chercher. »

Tu fus étonné. Et cela me fit presque rire. Tu connaissais Antonio, tu le pensais sorti de ma vie depuis es années. Sauf que tu ne savais pas qu’il m’avait promis : « Si un jour, tu as besoin de moi, appelle-moi. » Et contrairement à toi, il avait eu confiance, de cette confiance qui dure toujours, sur laquelle le temps n’a pas de prise. Notre lien était éternel, puisqu’intemporel. Tu ignorais que ça existait, ce genre de liens. Tu ignorais que des gens se connaissaient de vies antérieures. Tu gardais ce visage face aux choses de la vie, ces choses que tu ne pouvais pas saisir.

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Pourquoi pleurer ?
Pour te montrer que je suis à fleur de peau, comme le funambule que nous avons vu hier au cirque, comme le clown qui crie : « Pauvre Rififi. » comme l’acrobate, tête en arrière dans le vide. C’est ça que j’aurais dû faire : saltimbanque dans un cirque itinérant. J’aurais pu pleurer sans avoir à me justifier, sans que ça paraisse louche d’être aussi nature.
Pourquoi pleurer ?
Pour te dire : »Console-moi Pardi ! »
C’est quand même fou que ce soit si dérangeant les larmes des gens.

 

En sa puissance

L’homme chantera à la source demain dans cette vaste prairie. En attendant, nous tissons des colliers de fleurs, assises dans l’herbe. Ils nous ont dit de rester là pour quelques jours, en espérant l’assaut qui mettrait fin au combat. Nous divaguons comme les heures passent sous le ciel bleu. Lise avait déjà parlé de lui, elle croyait en sa puissance, en son intelligence, en sa capacité à diriger. Et je lui demande comment il est physiquement. Elle sourit sans rien dire. Et je souris à mon tour. Nous avons encore cette difficulté à nommer les choses. Je ne sais pas si ça vient de notre pudeur, de notre manque de vocabulaire ou de tout ce qui nous arriva ces derniers jours.

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– On en sait jamais. Toi seul connaît ce que tu aimes.
– Pourquoi tu me dis ça ?
– Tu gardes secrètes tes intentions d’amour. Je t’ai vu secourir la voisine du premier étage, sans aucune autre raison que de la secourir. Pourquoi elle, ce jour-là ? Et ensuite tu te comportais avec elle, avec ce que j’appellerais un certain amour, sauf que tu fiais : « Pas du tout. » Ça avait l’air tellement gratuit, comme innocent.
Tu te levas, surpris par ma remarque. J’eus peur que tu te fâches. Je ne sais pas pourquoi, car tu ne te fâches jamais.
– Tu me connais si peu ?
– J’ignore ce que tu aimes, ça me laisse un doute à ton endroit.

Et là, tu te mis à pleurer. Debout. Face à moi dans la cuisine.

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Aujourd’hui, comme tous les jours, nous sommes blondes. Blondes et belles. Les autres nous envient. Nos cheveux raides atteignent nos fesses. Et lorsque le printemps vient, la lumière les fait dorer. C’est ça, la lumière des blonde. C’est indescriptible. Ça adoucit, ça donne cet air d’ange, ça rappelle la pureté, ça rappelle une grâce, quelque chose de non-entaché. Et le soleil qui les traverse, quand tu es à bord du bateau, sur la mer azur, ça claque, j’avoue. Le blond de nos cheveux, comme celle des épis du blé que nos doigts effleurent quand nous les longeons.
Aujourd’hui, comme tous les jours, nous sommes insaisissables. Si nous sentons leur souffle, le souffle des jaloux, visant nos nuques, nous disparaissons dès que les crocs se dégagent de leurs lèvres retroussées.

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Philou habite dans une ampoule. Il tient une bougie, il regarde la flamme dans son habit de nuit: un bonnet pointu, une cape parsemée d’étoiles, un pantalon large et des petits chaussons. C’est Lucie qui l’a mis là et il est heureux. Ils se sont rencontrés dans le bois. Normalement personne ne le voit. Sauf que Lucie, ce jour, l’avait remarqué alors qu’elle allait prendre son bain dans la petite mare. Philou avait rougi, elle lui avait parlé. Mais d’où sortait-elle ? Il n’avait jamais vu une telle créature. Il voulait qu’elle l’emmène avec lui. Mais il n’osa pas lui dire. Pourtant, après une après-midi à se baigner entre les nénuphars, à manger des cookies trempés dans du lait, à sauter dans les herbes, c’est ce qu’elle fit, lui demander :
– Philou, veux-tu bien que je t’emmène chez moi ? C’est une petite hutte à deux pas d’ici.

les grands hommes

Si j’ai attendu si longtemps, c’est que je savais que les retrouvailles guériraient ma blessure la plus profonde. Qu’elles cautériseraient cette béance qui me tordait de douleur. Les sachant imminentes, je semais des cailloux, avec la conviction que je basculerai dans un autre monde alors que nous serions à nouveau réunis. Ce n’est pas commun de vivre dans la perspective de retrouvailles. Ça demandait un réel talent et un courage fou digne d’une autre époque.

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Les grands hommes sont au fond des vallées. Et le petit homme les attend. Il les attend depuis son enfance où son père lui avait dit : « Ils viendront, sois prêt. » Ils s’étaient tous deux préparés année après année à leur venue. Le petit homme vit son père mourir, il continua à attendre. Il sut qu’ils étaient arrivés dans la vallée car les feuilles étaient devenues jaunes et l’air froid.

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Le dix-sept jour après s’être inoculé le virus, il se rendit chez sa soeur. Il resta deux mois dans la cabane au fond du jardin. Il pratiquait la méditation matin, midi et soir. Il jardinait, il peignait, il cousait des vêtements, il devenait beau, ses cheveux poussaient, sa peau s’éclaircissait. Depuis que celle à qui il avait donné son coeur était partie, il se transforma. Il s’était mis à rêver comme jamais, des rêves irradiés de lumière dorée où l’herbe se faisait douces, où la chaleur humaine avait une odeur rassurante, où il sentait un manteau de sécurité, son énergie se décupla. C’est alors qu’il investit la cabane laissant la grande maison à des réfugiés qui en prenaient soin. Lorsqu’il sortit la première fois, il fut choqué par l’allure des gens. Il consulta son médecin qui lui prescrit la dose. Il accepta. Il devait revoir sa soeur au moins une fois. Pour une raison très précis et absolument nécessaire. Et pour cela, il devait sortir, ceci devait passer par la dose. Elle le protégerait. Lui, il allait trop bien.

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Etienne, cet homme qui adorait se reposer
Partit sans crier gare jusqu’à s’égarer
Sa vie lui pesait tel un étranglement
Il passait ses journées à enduire
Des maisons, il en perdait la force d’éjaculer
Il rêvait de s’étendre face à une mer moutonnée
Y fermer les yeux pour retrouver les collages
De son enfance, libre comme un serpentin.

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Le chevalier chevauchait dans la vallée. Cette vallée qu’il avait quittée dix ans auparavant. Seul dans le noir, il goûtait le souffle de son cheval, la transpiration sur son torse, son coeur aux aguets. Un jour, il avait posé le genou à terre avec une ferveur digne d’une jeune communiante. L’allégeance le comblait, servir les plus faibles lui plaisait. Il se souvenait du regard de son seigneur quand il plaça l’épée sur son épaule. Dans l’obscurité, il sentait les muscles de ses cuisses, la bride dans ses mains et ainsi il pensait ressentir l’univers tout entier. Il appréciait ce silence dense des sons de son être et de la monture, qui écrasaient ceux de la nature. Chaque jour, pendant ces années, il avait visualisé ce retour qui était son cap, sa lumière au bout du tunnel, sa prière. Quand il franchit la porte, il entendit sa voix prononcer son prénom.

Alfred et le chien

En 1940, je me suis évadé avec le chien du gardien. Au fil des semaines, je lui avais donné des petits bouts de bouffe. Il me biffa grave, et le soir de mon départ, il fut mon fidèle compagnon, indispensable pour franchir le trou qu’Alfred et moi avions fait dans le grillage. Dans le camp, les animaux ont été ma lueur, ils m’ont maintenu en vie : leur regard, leurs mouvements toujours tournés vers la vie et leurs actions parfaites. Les regarder, interagir avec eux me reliaient à l’harmonie du vivant, à sa grâce et à la pulsion que je pouvais qualifier de sublime vu l’endroit où j’avais atterri. A part Alfred, je ne parlais pas aux autres, je préférais danser avec les animaux. Partir dans les hauteurs de la montagne, ce fut facile les premières heures, mais avec les jours qui succédaient, le chien donna le rythme et le cap. Je remis ma vie en cet être joyeux, vaillant et beau.

En 1920, Alfred, un petit roux aux yeux verts, avait découvert un petit chien dans la forêt. Quand il débarqua dans la maison de ses parents, son père hurla. Alfred sourit. Il savait qu’il gagnerait. Il lui fallait du temps. Il le prit. Il ressortit illico, laissant les cris là où ils étaient. Alfred ne comprenait pas depuis le début pourquoi il criait et elle, elle qui louvoyait en minaudant jusqu’à ce qu’il se calme. Il cacha l’animal non loin, où il lui construit une petite cabane où il restait là tranquillement, où il grandissait car Alfred avait compris que cette boule de poils était un chiot. Chez ses parents, personne ne lui en reparla. Il prit le temps, il garda son secret, il savait que la patience était sa meilleure alliée. Un matin, le silence le réveilla. Il descendit pour découvrir sa mère en train de pleurer dans la cuisine. Il sut que le gueulard était parti. Il sortit et courut vers la cabane. Il fit entrer l’animal dans la maison.

Alfred marche toute la journée à mes côtés, le chien devant. Dans chaque geste que ce jeune lui porte vers lui, je sens tout l’amour du monde. Et ça me donne la force pour ne pas avoir peur. Nous nous enfonçons dans les bois jusqu’à entendre des hurlements la nuit. Puis, un soir, devant le feu, je le vis se lever et aller vers eux, toujours mû par la même grâce, cet amour. Il s’accroupit et ils vinrent à lui.
Les loups.

Une ombre, à l’aube

Rien ne nous arrivera si tu prends la route de droite. Comment te l’écrire ? Comment te le dire ? Car, toujours tu reviens à gauche. Alors, j’ai envie qu’un ouragan vienne et nous dévaste. Quand la bourrasque aura tout éclaté en mille morceaux, je prendrai le temps de les ramasser un par un. Accroupie. Mon esprit se calmera, apaisé dans la tempête. J’oublierai la gauche, la droite et ces murs qui t’enfermaient. Je choisirai de me poser dans l’alcôve.

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Pour repartir, il prit son sac posé sur la table. Comme tant de fois, il l’avait fait sans que personne ne le voit. « On ne me voyait pas », pensait-il. Et pourtant on le voyait. Tout le monde le voyait ; il irradiait. Les filles lui couraient après, les garçons l’enviaient. Sauf que ça, il l’ignorait. De son succès, il était absent. Armé de son sac, calé sur son dos, il arriva au port, puis au bateau dans lequel il monta. Comme à chaque fois, à cette heure matinale où la lumière était encore douce, et l’air frais. Il aimait cette sensation d’être une ombre, à l’aube.

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J’allais partir, mais mon mari m’a tuée avant. Je pensais n’avoir laissé aucune trace concernant la date de mon départ. Il était sur les dents depuis quelques mois, depuis que nous avions décidé de nous séparer. Il disait qu’il était d’accord, il faisait le mec conciliant. Il sifflotait, détaché et rigolard. Comme si dans la vie, tout n’était que farces. Il portait ce masque de mec joyeux qui affrontait tout avec un air amusé qui m’enchantait, qui me donnait un sentiment de sécurité. Mais, malgré cette posture, je ne renonçai pas à la séparation et il vivait comme si elle n’allait jamais avoir lieu. Ce qui me mettait dans une position délicate, voire impossible. Le soir où il me tua, je ne vis rien venir car quand je rentrai du travail, il portait le masque gai du funambule.

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Cher Cédric,
Tu as bien failli m’avoir, j’avoue. Tu le sais, je t’aime. Donc je te souhaite bien du courage pour tes années en prison. Toi qui avais réussi à y échapper malgré ton enfance et ton adolescent cabossées, malgré la bêtise de ta mère qui t’a eu si jeune et qui a trouvé ça malin de te lâcher dans un foyer si tôt et malgré tant de choses que nous savons tous les deux. Si j’ai pu en réchapper grâce à Mathieu qui m’a retrouvée dans le coma au bout de la rue, je ne te ferai pas le cadeau de réapparaître vivante pour te faire libérer. C’est que le coma m’a bouleversée au point de me changer en profondeur. Je me suis réveillée dans un autre monde. Alors que c’est moi qui ait porté les autres depuis que mes parents sont morts, là, c’est moi qui fut portée dans ma convalescence et ça a tout changé.

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Étonnée, je le fus ! Quelle catastrophe !
Gagner au loto à mon âge, qui l’aurait cru ?
Aller au bout du monde, acheter une île
Ramer dans le Pacifique, vivre nue
Et boire du champagne quand mes amis me visitent
Rares sont les aubaines, si rares que je pris ma tête entre mes mains !

Ce don de sagesse

Je suis trop au top aujourd’hui. José va craquer, c’est obligé. Regarde-moi ces tâches de rousseur sous mon oeil droit. Il va rugir tel un lion alléché au déclin du soleil aux abords du fleuve, regarde-moi ces frisettes qui ondulent ma chevelure. Je vais le croquer tout cru, lui qui m’a prise pour une vulgaire antilope, je vais lui montrer que je suis une hyène.

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« Je suis en retard » dit-elle. Youpi ! Elle regarda le bateau s’éloigner sans aucun pincement à l’estomac. Toute sa vie elle avait été à l’heure, toute sa vie elle avait cru bien faire en rendant sa copie à l’heure, en arrivant à la gare à temps, en rappelant ceux qui laissaient des messages sur son fax, son répondeur, son portable, dans sa boîte à lettres. Quand elle se retrouva sur le quai, sachant qu’elle avait raté le bateau du retour vers son quotidien, elle sut qu’elle ne prendrait pas le suivant. Elle s’assit sur un banc. Elle respira. Enfin, elle avait réussi à être en retard. Enfin, elle sentit la paix dans son corps. Enfin, comme pour la première fois, elle abandonna le poids de la culpabilité. Le plaisir inconnu d’être pleinement vivante et en amour la surprit.

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C’est une question de foi, tu peux y arriver, tu as déjà eu foi en bien plus improbable. Quand tu partais avant l’aube, en vélo sous la neige. Quand tu saupoudrais ton amour sur des gaufres du petit-déjeuner. Tous les jours, le ciel était bleu et tu bénissais tout le crédit que tu t’accordais, tu adorais ça : ne pas compter. La gratitude flottait dans les airs sans prononcer son nom, elle se révélait dans les bouquets de fleurs que tu récoltais dans les champs, ça te venait de ton enfance qui te semblait éternelle : ce don de sagesse de tout adorer tout le temps.

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Elle était partie de là où les gens avaient su,
Parce qu’elle l’avait dit.
N’imaginant pas les conséquences de ces révélations. Là où elle avait cru qu’elle recevrait de la douceur, puisque c’est bien ça qu’on devait accorder aux combattants revenant du front, elle reçut autre chose, un autre chose dont elle ne connaissait pas le nom.
Elle a ouvert sa main, face à la mer. À l’abri de l’ombre d’un arbre, les fesses posées sur le sable. Ici, elle avait le droit d’être guérie, car elle avait le droit d’être elle-même. Comme si le droit d’être soi était d’une telle nouveauté qu’il fallait donc autant se battre. Le bonbon, le calme, la sensation de bénir chaque cellule de son être. Oublier qu’il existait un monde où être soi était entravé. (janvier 2020)

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Et si tout s’arrêtait, quelle joie !
L’écoulement du sable dans le sablier,
la guerre des hommes contre les hommes,
la course à la surenchère,
l’économie telle qu’elle détruit le monde,
la bêtise à tous les coins de rue.

Et si tout s’arrêtait, quel élan !
Les insultes,
la médiocrité,
les reproches,
la fin du contrat,
la résurgence de l’absence,
les mensonges.
Tout ce que nous avons appris aux êtres humains pour qu’ils deviennent féroces, pour qu’ils puissent être capables de garder leurs frères derrière des barreaux.
Et si tout s’arrêtait, quel soulagement !
Je serais débarrassée de la peur de perdre,
je me contenterais de ramasser quelques coquillages sur la plage et de les enfiler sur un fil que je passerais autour de mon cou.
Tout s’arrêterait sauf qui moi qui continuerait à marcher.

Wild

Wild, c’était le nom que tu m’avais donné lors de notre premier voyage.
Wild, parce que nous nous étions perdus dans un désert américain et que nous avions entendu les coyotes hurler dans la nuit.
Wild, parce qu’un jour, tu m’avais souri en disant : « C’est parce qu’ils ne t’ont jamais domestiquée. »
Wild, parce que nous avions recueilli un chiot et que je voulais qu’il fut un loup.
Wild, parce qu’il restait ce quelque chose de spontané.
Wild, parce qu’il en fallait pour rugir.
Wild, parce qu’ils m’avaient trop enfermée.

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– Oh, ça sert surtout à faire cuire du riz et depuis je mange du riz. Avant impossible de bien le cuire.
– Comment ça se fait qu’il y a un pistolet dedans ?
– Pour que personne ne le trouve.
– Tu es vraiment sûre que c’est une bonne cachette ?
– Tu crois que j’avais le temps ?
– Temps ou pas temps, c’est archi bidon, surtout sans mettre de riz dedans.
– Personne ne met jamais le riz avant de le cuire.
– Tu veux dire quand le machin est rangé dans le placard ?
– Oui, c’est ça. Tu crois vraiment que ce détail mérite deux pages d’écriture ?
– Un pistolet, c’est un détail.
– Je parlais du rice cooker.
– Et moi, du flingue.
– Tu veux savoir autre chose ?
– Tu te fous de ma gueule ou bien ?
– Parce que tu crois que je vais te dire pourquoi j’ai un flingue.

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Le vent soufflait sur la plaine. Difficile de tirer à l’arc. Les Anglais patientaient de l’autre côté de la colline. Les chiens s’en donnaient à coeur joie, certains leur relançaient la balle. Hugo adorait les champs de bataille avant la bataille, ces heures où l’on préparait au combat. Il notait des poèmes sur son petit carnet, il regardait les hommes et les bêtes. Ses cheveux lui cachaient le visage. Il entendit le chant d’un cor. Il rangea le petit carnet dans une poche, sur sa poitrine. Il attacha ses cheveux.

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La fille se pencha sur le petit objet vert. La vie, c’est comme une pêche au trésor, et non une chasse. La fille était de ceux qui goûtent. Elle captait et recevait, et ce mouvement la décalait des chasseurs qui la chassaient. Alors, elle errait seule dans la vie. Munie d’une chevelure rousse jusqu’à la chute de ses reins, de longs cils orange qui s’illuminaient les jours de soleil et de claquettes, elle marchait sur les plages, un sac en bandoulière. trouver un objet, ça lui procurait de la joie. C’était une après-midi lumineuse d’été lumineuse, quand les feuilles aux arbres étaient encore d’un vert plein, et la mer d’un bleu clair. Quand tout était ainsi parfait, parfois il lu arrivait de se dire que ça serait agréable d’avoir de la compagnie. Parfois seulement. Car elle se souvenait qu’elle avait quitté l’idée du lien avec l’autre, quand elle prit conscience qu’elle ne comprenait plus ce que les autres lui disaient. Elle entendait les mots, mais ils n’avaient pas le même sens. Pour elle, ils gardaient leur sens dans le temps. Et elle ne rencontrait plus personne pour qui c’était le cas. L’idée de durée s’était volatilisée. Alors elle était partie vivre dans le monde. Elle marchait sur les plages, et quand ses doigts saisirent la bouteille vide, elle entendit un petit bruit. Elle se retourna.

Sans toi, je l’aurais fait

Sans toi, je l’aurais fait traverser la frontière, récupérer la voiture que tu avais laissée dans la cour de la ferme, la ramener plus au Nord, frapper à la porte des copains de Malik, tu sais, la porte de cette maison juste avant la digue, dans la rue pavée après le café où ils servent des gâteaux à la carotte. Mais, il y a eu ce cri dans la nuit, ce cri que je n’aurais jamais dû écouter. Sans ce cri, je l’aurais fait et en montant dans la voiture, je regrettai toutes ces fois où j’ai écouté les autres au lieu d’aller vers mon étoile, vers mon feu, vers cette arrivée au bout de la digue dans la nuit à laquelle je suis destinée.

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Une histoire qui finit bien, ça serait comment ? « Viens ! » Nous nous allongeâmes dans l’herbe, les yeux perdus dans les étoiles. «  Viens, imaginons l’histoire avec une belle fin. » Ma poitrine se souleva. Je n’étais plus habituée à envisager une belle fin, les épreuves nous avaient découpées en morceaux. Dans la nuit, j’entendis mon souffle doux comme une couverture qu’on prend contre soi pour se rassurer. Ça serait l’un de nous qui vient chercher l’autre. Y a une histoire de porte, de cliquetis, de démarrage, d’envolée, de voir s’éloigner le nuage noire de la fumée se dégageant des feux du chaos. Y a le son d’un klaxon : « Coucou, c’est moi. Je suis là. »

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C’était une question de fréquence. Il ne comprenait pas ce que cette fille lui répétait. Alors elle se dit que c’était un souci de fréquence dans le sens où le sens de certains mots ne lui parvenait pas. Comme si son cerveau avait un filtre. Il n’entendait pas ses fréquences qui, elle, la faisaient vibrer. Lui restait mou comme une poupée de chiffons. Elle s’engagea sur le chemin broussailleux, tant pis pour ses jambes nues. Elle pourrait toujours le perdre en se cachant derrière un séquoia. Car en plus d’être mou, il était lent. Et le temps qu’il se faufile dans les mauvaises herbes et autres lianes, elle trouverait le moyen de ramper. Il la suivit, n’esquivant pas les ronces qui marquèrent son visage. Quand elle distingua le château dans la brume, elle cacha le bonheur qui la submergea.

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Ça faisait des ondes régulières et c’était juste beau. Ce rythme l’apaisait. Ça lui donnait confiance. Le chien était revenu après l’hiver. Ça lui réchauffa l’âme. C’était au Moyen-Âge, l’Écosse, tu te souviens. Tu te souviens de sa chevelure rousse. Ça te faisait quelque chose. C’était éternel, cette sensation. Tu étais monté jusqu’au trône, derrière elle. Tu murmurais : « Mon coeur. » le sentant battre à nouveau. Tu pensais : « Mon étoile » sans jamais l’avouer. Tu n’oubliais pas la quête.

Vous allez enterrer les enfants que vous avez tués

Comment avais-je entendu ces longues déclarations structurées d’injustice ? Oui je n’avais pas mis le pantalon rose, parce que je ne possédais pas de pantalon rose. Oui je n’avais pas versé d’argent sur le compte de cet individu parce que je ne possédais pas d’argent. Oui je n’avais pas menti à mon prochain, oui les larmes étaient montés à mes cils en entendant la mauvaise parole, oui ma voix avait été douce face à la colère et le sourire n’avait pas quitté mes lèvres. Oui j’avais saisi mon crayon presque chaque jour pour déposer de la poésie. Oui il n’y avait pas d’édifice suite à mon labeur, oui c’était quelques pages colorées. Oui ma mère m’en voulait pour ne pas avoir su trouver la sécurité, et elle me chargeait de sa peur. C’était bien depuis toujours pourquoi on me disait d’être autrement que ce que j’étais. Avec un pantalon rose, riche et salope, avec cette feinte mièvrerie qui donne aux hommes d’être forts alors qu’ils ne savent qu’aboyer.

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Ils sont timbrés. Mais tout le monde s’en fout. Il n’y a plus le cri de la rage primaire pour hurler quand on nous maltraite. La peur a pris le dessus, la peur les mène par le bout du nez. Ils sont timbrés, mais vous n’allez rien dire. Vous allez enterrer les enfants que vous avez tués. Elle crut : « L’humanité va en mourir ! » Certes, oui. Mais ils s’en foutent car il n’y a plus dans leur cerveau la place pour envisager l’humanité, le fait que nous sommes reliés les uns aux autres et certains couinent comme quoi les gens sont bien individualistes. Et toi ? En vrai, quand as-tu fait autre chose que de nourrir ta névrose et ton aliénation ?

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Pendant que l’autre dormait, je me pris un Lexomil. Lumières éteintes, derrière le rideau. La substance agit vite m’entraînant à opter pour des pensées légères comme des bulles qui remontaient de je ne sais où. Leur légèreté qui venait du fait que je n’avais plus peur de ne pas réussir ce que j’entreprenais me berçait jusqu’à ce que je puisse rêver à nouveau, que ce que je faisais avait un effet positif. Je sortais ainsi de l’échec dans lequel je m’étais installée. Laissant l’autre dans les bras de Morphée, je partis acheter un ticket de Loto. Sans le dire à personne. Le Loto était un enjeu bien trop grand. Je sus me taire. J’apprenais à m’en foutre. Personne ne peut donc imaginer qu’elle fut la claque que je me pris quand je sus que j’avais gagné. Je ne le dis à personne, même pas à l’autre qui s’était réveillé sans rien me demander sur rien. Je partis acheter un poisson rouge avec mon pactole. Je décidai de méditer en le regardant jusqu’à ce que je trouve mon désir,
maintenant que j’avais du pognon. Je l’appelais Jésus-Christ. Dans mes rêveries, je me voyais sur un quai de gare dans une robe verte, toute moelleuse. Ca sentait le miracle, la fleur d’orange et je m’endormais dans une hutte sur une plage.

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Quand je suis rentrée à la maison, il n’y avait personne. C’était la première fois en trois ans. Pendant trois ans, à chaque pas que je posais sur le seuil de la bâtisse blanche, il était là.